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HISTOIRE SOCIALISTE

sement que quelques semaines ne suffirent pas pour détruire entièrement mon influence, et quelques soins qu’eussent pris mes ennemis pour me priver de cette scandaleuse popularité, au 21 juin, il m’en restait encore assez pour sauver Lafayette… » Et c’est bien tout le régime bourgeois qu’il entendait sauver ainsi à la fois contre la Cour et contre le peuple. Il le déclara dès le 21 juin à la tribune même de l’Assemblée avec une netteté audacieuse

« Je rappelle à tous les bons citoyens que ce qui importe surtout dans les circonstances actuelles, c’est qu’au lieu où la puissance publique peut parler, peut agir, elle puisse le faire librement, qu’elle jouisse du plus grand calme ! de la plus ferme union, et que tous ses mouvements, livrés à la seule prudence des représentants de la nation, ne soient pas influencés par des causes qui, quelque populaires qu’elles puissent paraître, ne seraient que le résultat d’influences étrangères. (C’est bien vrai.)

« Messieurs, il faut de la force dans Paris, mais il y faut de la tranquillité. Il faut de la force, mais il faut que cette force soit mue par une seule volonté, et cette volonté doit être la vôtre. Du moment qu’on croirait pouvoir l’influencer, on mettrait dès lors en péril la chose publique dont vous êtes seuls les dépositaires et de laquelle seuls vous pouvez répondre. Le véritable danger du moment est dans ces circonstances extraordinaires où l’effervescence est excitée par des personnes dont le patriotisme serait loin d’être le sentiment, dont le salut public serait loin d’être l’objet.

« Il importe actuellement que tous les hommes véritablement amis de la patrie, que tous ceux qui ont un intérêt commun avec elle, que ceux qui sont devenus les sauveurs de la France et de Paris dans cette journée du 14 juillet qui a fait la Révolution, se réunissent encore et se tiennent prêts à marcher.

« Vous vous rappellerez qu’alors le premier mouvement fut donné par une classe peu réfléchie, facilement entraînée et que des désordres en furent l’effet. Le lendemain, les hommes pensants, les propriétaires, les citoyens véritablement attachés à la patrie s’armèrent, les désordres cessèrent les actes véritablement civiques leur succédèrent et la France fut sauvée. Telle est la marche que nous devons prendre. Je demande donc que l’Assemblée nationale prenne une résolution par laquelle elle ordonne à tous les citoyens de Paris de se tenir armés et prêts, mais de se tenir dans le plus profond silence dans une attente immobile jusqu’au moment où les représentants de la nation auront besoin de les mettre en mouvement pour le maintien de l’ordre public ou pour la défense de la patrie. »

C’était concentrer aux mains de l’Assemblée toute la direction des événements. C’était jeter le soupçon sur ceux qui tenteraient d’animer le peuple jusqu’au renversement de la monarchie. C’était proclamer que la conduite du monde nouveau appartenait à l’élite propriétaire considérée seule comme pensante. Rewbell essaya en vain de répliquer : il fut interrompu dès le premier mot : et il est à noter que ni Petion, ni Robespierre, ni aucun des démo-