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HISTOIRE SOCIALISTE

contre lui une condamnation. En fait, la tentative du roi n’avait pas abouti : il lui était permis de dire qu’il n’avait pas voulu quitter le royaume ; les étrangers n’avaient pas mis leurs troupes en mouvement ; les négociations de trahison conduites par le roi avec les souverains de l’Europe étaient inconnues ; ainsi, l’énergie du sentiment national, qui, au 10 août 1792, emporta la royauté, complice des premières défaites, n’aurait pas suffi à la fin de 1791, et en pleine paix, à refouler les vieux instincts monarchiques. Dès lors, le procès ne devenait-il pas dangereux et n’aurait-il point pour unique effet de ramener au roi les sympathies ? Cette crainte secrète paralysait à coup sûr les démocrates de l’Assemblée.

De plus, l’idée de la République était toute nouvelle. Tous comprenaient bien qu’il ne pouvait s’agir ni d’une république comme celles de la Grèce et de Rome, fondées sur l’esclavage, ni d’une république aristocratique comme celle de Genève.

L’exemple d’un pays neuf comme l’Amérique ne pouvait non plus être invoqué. C’est donc une République sans précédent qu’il s’agissait de créer : et la plupart des révolutionnaires reculaient devant cette entreprise incertaine et obscure. Voilà pourquoi l’assemblée vota la mise hors de cause de Louis XVI et se prépara tout doucement à lui rendre le pouvoir à la seule condition qu’il voulût bien accepter l’ensemble de la Constitution révisée.

Mais, malgré tout, la secousse fut forte : et on peut dire dès ce jour que le roi et la royauté n’ont plus une seule faute à commettre. La suspension de l’autorité royale est, en fait, un premier essai du régime républicain. L’idée de République est posée. Quelques grands esprits commencent à la formuler nettement : et si le peuple n’est pas encore nettement républicain, du moins, est-il prêt à suivre jusqu’à la République le mouvement de la Révolution. Brissot mêlait à ses idées républicaines trop d’intrigues, trop de combinaisons à échappements multiples. C’est lui qui avait suggéré à Pétion l’idée bizarre du conseil exécutif.

Ce qui est plus remarquable c’est que dès cette époque il s’appliquait à préparer l’opinion à ne pas redouter l’intervention étrangère. Il disait aux Jacobins dans la séance du 10 juillet : « On ne peut mettre, disent les comités, le roi en cause, on ne peut le juger sans s’exposer à la vengeance des puissances étrangères. On fait entrevoir à l’assemblée nationale un tableau effrayant des calamités que leur ligue, leur invasion entraînerait en France. C’est avec ces terreurs imaginaires qu’on espère ranger autour d’un parti honteux ou faible des patriotes sincères, mais timides et peu instruits….. Qui êtes-vous ? un peuple libre : et on vous menace de quelques brigands couronnés et de meutes esclaves ! Athènes et Sparte ont-ils jamais craint les armées innombrables que les despotes de la Perse traînaient à leur suite ? A-t-on dit à Miltiade, à Cimon, à Aristide : Recevez un roi ou vous périrez ? Ils auraient répondu dans un langage digne des Grecs : Nous nous verrons à Marathon, à