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HISTOIRE SOCIALISTE

si improprement chapeaux noirs et gens comme il faut, il prit ses municipaux dans son propre sein et dans tous les états ; il jeta les yeux sur ceux qui avaient montré le plus d’ardeur pour la Révolution et qui avaient suivi les bannières de la liberté. »

Mais ce n’étaient pas à proprement parler des prolétaires. Vadier lui-même possédait environ trois cent mille livres de biens fonciers, et l’aristocratie exaspérée essaya de prendre la revanche contre les bourgeois de la Révolution en prêchant à Pamiers, dès 1790, une sorte de loi agraire. La prédominance politique et sociale de la bourgeoisie à cette date est donc incontestable.

Mais la Constitution n’était pas rigide : elle pouvait s’assouplir dans le sens de la démocratie. La vie municipale surtout créait quelques foyers populaires ardents, dont le rayonnement pouvait pénétrer peu à peu toute la nation. Les sections de Paris travaillaient à élargir le droit de suffrage, à l’étendre à tous au moment même où la Constituante s’appliquait à le restreindre.

En juin 1791, quand Paris procéda, dans ses assemblées primaires, au choix des électeurs qui devaient nommer les députés, un mouvement très vif se produisit en plusieurs points pour le suffrage universel. Le 8 juin, la section de Sainte-Geneviève prit un arrêté portant qu’il serait nommé deux commissaires chargés de se réunir à ceux des autres sections pour rédiger, en se servant du discours de Robespierre, une pétition contre les distinctions de classes. (Voir Mellié : les sections de Paris.) La section des Gobelins fit une pétition dans le même sens.

La section du Louvre, le 25 juillet 1791, rédige une adresse sur la « nécessité de donner le droit de citoyen actif à tous les citoyens qui paient même la plus légère contribution, attendu leurs justes murmures de n’être comptés pour rien dans l’Empire, tandis qu’ils servent la patrie par leurs bras, par leurs femmes et leurs enfants ; mais de priver de cet avantage tous citoyens connus pour être de mauvaise conduite, accapareurs, agioteurs, de les laisser juger par leurs pairs dans les assemblées mêmes et exclure d’icelles ». Ainsi, dans les sections ardentes, c’étaient les « accapareurs », c’est-à-dire évidemment des bourgeois, qui devenaient les citoyens passifs. Marat dressait et publiait, quartier par quartier, la liste des mauvais patriotes qui devaient être écartés des assemblées.

La section du Théâtre-Français ne se bornait pas à pétitionner pour le suffrage universel. Elle l’instituait elle-même, dans ses limites, par un acte révolutionnaire. Déjà, le 23 juin, elle avait décidé d’ouvrir les assemblées primaires à tous les citoyens âgés de vingt-cinq ans et domiciliés, et elle avait effacé du serment le mot actif. Elle renouvela solennellement cet arrêté le 27 juillet, et elle abolit dans son sein la distinction de citoyens actifs et de citoyens passifs. À coup sûr, ces décisions révolutionnaires se heurtaient à