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V
HISTOIRE SOCIALISTE

Comité d’aliénation et le 15 par l’Assemblée nationale, ne fut ordonnancée que le 2 novembre à Paris et enregistrée au département le 6 décembre et au district le 16 ; elle se portait à la somme de 213,355 livres. Mais la revente des biens avait commencé dès le mois de janvier 1791 ; elle se continua dans le courant de cette année et en 1792 ; elle produisit 410,505 livres. Ainsi la métairie de Longueville évaluée 28,250 livres, fut revendue 56, 000 livres ; les bâtiments de la Commanderie évaluée 7,585 livres, vendus 16,300 livres ; les moulins du ruisseau de Crouchou, évalués 20,900 livres, vendus 41,300 livres ; l’abbaye de Saint-Michel, évaluée 28,600 livres, vendue 41,300 livres.

« La municipalité de Lisle soumissionna aussi pour un grand nombre d’articles qui lui furent accordés le 15 février 1791, au prix de 204,445 livres ; au 31 décembre de cette année il en était revendu pour 286,804 livres. Les municipalités de Peyrole, de Técous, de Lapelissarié et de Bernac soumissionnèrent aussi pour des biens nationaux.

« Les décrets d’août et septembre 1791 affectaient au paiement des dettes des municipalités le seizième qui leur revenait sur la revente des biens ; en novembre 1792 on prenait des dispositions pour l’exécution de ces décrets, et la liquidation des seizièmes était ordonnée le 25 février 1793.

« Au 1er août 1791, il avait été vendu des biens nationaux pour 1,800,000 livres, et au 1er novembre pour 1,975,432 livres ; il en restait encore à vendre pour 224,000 livres, non compris les biens ajournés qui se portaient, bois et forêts exceptés, à 150,000 livres. Les droits incorporels, dont le rachat était permis, étaient évalués à un million : ainsi le total des biens nationaux du district, vendus alors ou évalués, était de 3,350,432 livres. En novembre 1792, il en fut vendu encore pour 167,247 livres et il restait à vendre l’abbaye, la commanderie et les capucins à Gailhac, les augustins à Lisle et le prieuré à Rabastens.

« Ainsi la vente des biens nationaux, qui se porta à plus de deux millions, fut faite dans l’espace d’une année : de grandes facilités avaient été données pour le paiement qui pouvait s’effectuer en douze annuités, et des acquéreurs étaient venus de tous les partis ; nous n’avons pas à les nommer ; beaucoup, sans doute, voyaient là un moyen de faire une spéculation fructueuse ou de se créer en immeubles une fortune considérable ; mais il y avait parmi eux des catholiques fervents et des partisans convaincus de l’ancien régime. La preuve en est dans le nombre considérable des acquéreurs qui émigrèrent, et le ministre de l’intérieur, consulté pour savoir si les biens qu’ils avaient achetés devaient être revendus à folle enchère à raison des paiements à effectuer, ou séquestrés comme appartenant à des émigrés, répondait, en mars 1793, que l’émigration des adjudicataires ne pouvait pas changer la destination de ces biens, qui servaient de gages aux assignats et ils devaient être mis de nouveau aux enchères. »

Il est difficile, comme on voit, de donner en raccourci une idée plus précise et plus exacte des choses ; et on sent que M. Rossignol aurait pu nous tracer le tableau le plus exact, le plus sévèrement contrôlé, des ventes, si des préjugés conservateurs ou des scrupules ne l’avaient persuadé qu’il « n’avait pas à donner les noms ». C’est vraiment une préoccupation étrange. Il n’y a aucune honte à descendre de familles ayant acquis des biens nationaux ; il y aurait honte peut être pour ceux qui renient le mouvement révolutionnaire. Mais l’histoire est au-dessus de tout cela et il importe à la vérité que partout les registres des ventes soient publiés, que le nom et la qualité des acquéreurs soient indiqués. C’est le seul moyen d’étudier la répartition des biens nationaux entre les diverses classes sociales.

Et comme il serait intéressant de constater si de la première période des ventes, vente des biens du clergé, à la seconde, vente des biens des émigrés, les proportions entre les diverses classes sociales d’acquéreurs, entre les paysans, les bourgeois, les financiers, s’est modifiée ! Ce serait un prodigieux coup de sonde jeté dans la vie sociale du monde nouveau. Mais tant qu’on n’aura pas publié tous les tableaux de ventes, on sera réduit à des conjectures ou à des conclusions partielles et précaires. Il faudra donc qu’un grand effort de recherche soit fait en ce sens et que les résultats en soient publiés.