Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/105

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le rapporteur, François de Neufchâteau, se borna à objecter qu’elle était « prématurée ». Et il ajouta : « Elle est une des mesures générales qui vous sont réservées après avoir entendu les comptes que vous demandez aux directoires des départements. »

La Révolution se ménageait ainsi cette arme redoutable. Il y eut débat aussi sur un article additionnel d’Albitte. Celui-ci craignait évidemment d’exaspérer une partie des populations catholiques en leur refusant tout moyen de culte si elles ne se ralliaient pas au prêtre constitutionnel. Il proposa ceci : « Les églises ou édifices nationaux ne pourront être employés à l’usage gratuit d’aucun autre culte que celui qui est entretenu aux frais de la nation. Pourra néanmoins toute association religieuse acheter celles desdites églises non employées audit culte, pour y exercer publiquement le sien, sous la surveillance des autorités constituées, en se conformant aux lois de police et d’ordre public. « Cela paraissait très libéral, mais c’était la destruction de la loi, à moins que ce ne fût une disposition tout à fait vaine. Si les catholiques, qui ne reconnaissaient point le prêtre constitutionnel, pouvaient acheter les édifices non consacrés au culte légal dans les paroisses où celui-ci serait nul, les édifices religieux appartiendraient bientôt aux prêtres réfractaires. Mais ceux-ci, allait-on exiger d’eux le serment ? Si on le leur demandait, l’amendement Albitte n’avait plus d’objet. S’ils en étaient dispensés, toute la loi tombait, et des prêtres, ayant refusé le serment, étaient autorisés à dire publiquement la messe dans les édifices mêmes, qui, la veille, servaient au culte, sous la seule condition que les fidèles groupés autour d’eux les eussent acquis de leurs deniers.

Vergniaud, Guadet, désirant sans doute ne pas pousser jusqu’au bout la guerre religieuse, semblèrent un moment sympathiques à la motion Albitte. Mais quelle inconséquence dans la Gironde ! ils craignaient de surexciter au dedans le fanatisme catholique ; ils voulaient autant que possible amortir le conflit entre le culte constitutionnel et les habitudes anciennes, et en même temps, ils toléraient et ils encourageaient les manœuvres de Brissot qui, du fond du Comité diplomatique comme à la tribune de l’Assemblée, poussait à la guerre contre l’Europe. Comme si le conflit tragique de la Révolution avec l’étranger n’allait pas aggraver d’un coefficient formidable tous les conflits intérieurs ! La trompette guerrière du girondin Isnard déchirait les oreilles et exaspérait les nerfs, au moment même où ses amis essayaient d’adoucir un peu le choc des préjugés catholiques et de la Révolution. François de Neufchâteau démontra aisément, au nom du Comité, que la disposition d’Albitte, qui rouvrait les temples aux prêtres réfractaires, était en contradiction avec toute la loi qui les frappait, et pour obtenir le vote définitif de l’ensemble, il résuma en quelques formules brèves et fortes la doctrine laïque de la Révolution :

« Je demande si l’on peut invoquer la tolérance pour des opinions qui ne