Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/113

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du glissement de la Législative, voulait d’emblée arrêter le mouvement. Mais en même temps que les modérés considéraient comme négligeable le péril catholique, ils appelaient l’attention du roi sur les périls de l’émigration. Quel inexplicable renversement des proportions ! À côté de l’Église fanatisant les masses et essayant de paralyser le cœur même de la Révolution, les rassemblements d’émigrés n’étaient qu’une fumée vaine, irritante peut-être, mais sans danger. Et comment ces modérés, ces prétendus sages, ne voient-ils pas que les mesures décisives qu’ils demandent contre les émigrés peuvent conduire rapidement à la guerre contre l’Europe et que cette guerre est la mort de la monarchie constitutionnelle et des partis tempérés ?

Les Feuillants font ici le jeu de la belliqueuse Gironde avec une inconscience inouïe, et l’on se demande nécessairement si, de ce côté aussi, il n’y a pas une intrigue. Qui sait si aux modérés la guerre, que dirigerait le roi, n’apparaît pas, dès ce moment, comme une diversion utile, comme un moyen d’affermir l’autorité royale tandis que pour les Girondins c’est un moyen de la supprimer ? En tout cas, il faut noter comme un inquiétant symptôme ces phrases de l’adresse du département de Paris :

« Au nom sacré de la liberté, de la Constitution et du bien public nous vous prions. Sire, de refuser votre sanction au décret des 29 novembre et jours précédents sur les troubles religieux ; mais en même temps, nous vous conjurons de seconder de tout votre pouvoir le vœu que l’Assemblée nationale vient de vous exposer avec tant de force et de raison contre les rebelles qui conspirent sur les frontières du royaume. Nous vous conjurons de prendre, sans perdre un seul instant, des mesures fermes, énergiques et entièrement décisives, contre les insensés qui osent menacer le peuple français avec tant d’audace. »

La démarche du directoire de Paris produisit une émotion extraordinaire. Les démocrates y virent tout un plan du roi cherchant à provoquer une manifestation d’ensemble des directoires de département, presque tous modérés, et à opposer cette force d’opinion au mouvement encore incertain de l’Assemblée. Un grand nombre de sections de Paris envoyèrent des délégués à la barre de l’Assemblée pour protester contre le directoire de Paris. Ils le firent avec une violence extrême et ne ménagèrent ni le veto ni le roi. Camille Desmoulins, le 11 décembre, au nom de 300 signataires présenta à l’Assemblée une pétition éblouissante d’esprit et pleine de menaces révolutionnaires.

« Dignes représentants, les applaudissements sont la liste civile du peuple, ne repoussez donc point la juste récompense qui vous est décernée par le peuple. Entendez des louanges courtes, comme vous avez entendu plus d’une fois une longue satire. Recueillir les éloges des bons citoyens et les injures des mauvais, c’est avoir réuni tous les suffrages. » (Applaudissements.)

Il perça de ses ironies Louis XVI :

« Prenant exemple de Dieu même, dont les commandements ne sont