Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/124

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nationale. » (Vifs applaudissements prolongés dans la salle et dans les tribunes.)

Il y a, en ce discours d’Isnard, un étonnant mélange d’héroïsme et de rodomontades, d’enthousiasme sacré pour la liberté et de griserie militaire, d’amour de l’humanité et de forfanterie nationale. Ce n’est pas encore la guerre systématique de propagande : on annonce qu’on respectera les « constitutions des autres Empires » ; mais Isnard s’anime si fort en parlant de la guerre des peuples contre les rois, qu’il est visible qu’il la désire. Et il ne songe pas un moment à se demander si la liberté ainsi portée au monde non par la puissance de l’exemple, mais par la brutalité des armes, ne se changera pas bientôt, pour la France et pour le monde, en une immense servitude militaire.

Il célèbre déjà « les lauriers de la victoire » qui couronneront les héros de la liberté ; il n’entrevoit pas le front de César qui, un jour, s’ombragera seul de ces lauriers.

Et puis, quelle disproportion entre la véhémence de ce langage et l’état réel des choses en Europe ! Il semble, à entendre Isnard, que le sol déjà soit envahi ; et pourtant il n’est pas certain, à cette heure, qu’avec une grande vigueur de politique intérieure et une grande habileté diplomatique, la France ne réussisse pas à éviter la guerre, à sauver tout ensemble la liberté et la paix.

Mais les esprits perdaient toute mesure : Brissot pouvait se féliciter de son œuvre. Un de ses adversaires a dit de lui qu’il excellait « à allumer la paille ».

L’imagination un peu vaine d’Isnard, l’ardente paille de Provence, s’était allumée en effet, et cette « paille allumée », emportée au loin en un tourbillon de paroles, d’enthousiasme, d’héroïsme et de vanité, va mettre le feu à l’univers et dévorer bientôt la liberté elle-même.

L’Assemblée adopte à l’unanimité le projet de décret nouveau apporté par le comité ; et à l’unanimité aussi, elle charge son président modéré, Vienot-Vaublanc de lire au roi une vigoureuse adresse qu’il avait rédigée. Tous les partis semblaient marcher à la fois vers la guerre.

Pourtant, les démocrates commencent à entrevoir le péril. Robespierre, rentré d’Arras, prend la parole, le 28 novembre, aux Jacobins. Il se sent tout à coup enveloppé d’une atmosphère surchauffée, et n’ose pas combattre directement la politique de guerre.

Peut-être même, surpris par la violence du mouvement soudain qui, pendant son absence et en quelques semaines, s’était déchaîné, il n’a pas encore pris parti.

Mais il est visible qu’en tout cas il a démêlé d’emblée ce qu’il y avait dans la politique de Brissot d’incohérence et d’hypocrisie. Incohérence, s’il s’imagine qu’il suffira, pour dissiper les inquiétudes et rasséréner l’horizon,