Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/194

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m’écrie : Je vois de cette tribune les fenêtres d’un palais où des conseillers pervers égarent et trompent le roi que la Constitution nous a donné, forgent les fers dont ils veulent nous enchaîner, et préparent les manœuvres qui doivent nous livrer à la maison d’Autriche. Je vois les fenêtres du palais où l’on trame la contre-révolution, où l’on combine le moyen de nous replonger dans les horreurs de l’esclavage, après nous avoir fait passer par tous les désordres de l’anarchie et par toutes les fureurs de la guerre civile. (La salle retentit d’applaudissements.)

« Le jour est arrivé, messieurs, où vous pouvez mettre un terme à tant d’audace, à tant d’insolence, et confondre enfin les conspirateurs. L’épouvante et la terreur sont souvent sorties, dans les temps antiques et au nom du despotisme, de ce palais fameux. Qu’elles y rentrent aujourd’hui au nom de la loi. (Applaudissements réitérés.) Qu’elles y pénètrent tous les cœurs. Que tous ceux qui l’habitent sachent que notre Constitution n’accorde l’inviolabilité qu’au roi. Qu’ils sachent que la loi y atteindra sans distinction tous les coupables, et qu’il n’y aura pas une seule tête convaincue d’être criminelle qui puisse échapper à son glaive. Je demande qu’on mette aux voix le décret d’accusation. » (L’orateur descend de la tribune au milieu des applaudissements réitérés de l’Assemblée et du public.)

Enfin, une main hardie déchirait le voile : la trahison royale était directement dénoncée. La Révolution retrouvait son accent de franchise et de puissance. La menace à la reine était terrible. L’acte d’accusation contre Delessart fut voté. Les amis de Marie-Antoinette furent pris de peur pour elle.

Fersen note ceci dans son journal, le 23 mars : « Trouvé Goguelat chez moi en rentrant. Il avait passé par Calais, Douvres et Ostende. Il était parti depuis huit jours. Leur situation (du roi et de la reine) fait horreur. On a entendu des députés dire : « Lessart s’en tirera, mais la reine ne s’en tirera pas. » Deux autres, sur la terrasse des Feuillants, disaient, en parlant du départ du roi : « Ces bougres-là ne partiront pas ; vous le verrez. »

Il écrit encore le 18 : « Le chevalier de Coigny avait mandé le projet des Jacobins de mettre la reine dans un couvent ou de la mener à Orléans pour la confronter avec Delessart. »

Vraiment l’épouvante et la terreur étaient entrées dans le palais au nom de la Révolution.

Et presque au même moment, comme pour achever l’accablement de la Cour, la nouvelle de la mort de l’empereur Léopold arrivait. Le journal de Brissot dit, le 11 mars : « La mort de l’Empereur n’est plus douteuse ; elle a été officiellement annoncée. Cette mort change tout le système politique de l’Allemagne. Cette nouvelle et celle du décret d’accusation contre M. Lessart ont répandu la consternation dans le château. »

À vrai dire, Brissot s’exagérait la confiance de la Cour en l’Empereur.