Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/216

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races et l’esclavage même ; la contradiction était cruelle, et Merlin y appuyait sans ménagement.

L’Assemblée troublée et irritée le huait ; mais elle n’osait pas prendre parti, et ajournait. Cependant Brissot, qui s’était ressaisi et qui avait reçu des documents, pressait l’Assemblée d’instituer un grand débat d’ensemble sur la situation des colonies. Le comité colonial où dominaient les amis des colons ne semblait pas se hâter d’apporter son rapport ; peut-être le dépouillement d’un très volumineux dossier était-il long. Peut-être aussi les modérés redoutaient-ils une discussion, où, de nouveau, des paroles de justice et de liberté retentiraient, que le vent de la Révolution, qui ne défaillait point aux grands espaces, porterait jusqu’aux Antilles. Pourtant Brissot avait annoncé que le 1er décembre, même si le Comité colonial n’était pas prêt, il ouvrirait, lui, le débat. Il fut ouvert en effet.

Déjà le 30 novembre, les députés de l’Assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue avaient été admis à la barre, et l’un d’eux. Millet, avait exposé la thèse des colons blancs. C’est un violent manifeste contre les démocrates, contre la Société des amis des noirs, contre Brissot, contre l’abbé Grégoire ; c’est la théorie de l’esclavage formulée par les propriétaires blancs des îles ; et comme je ne citerai pas d’autre document dans le même sens, je ferai à celui-ci des emprunts assez étendus. L’orateur s’applique d’abord à émouvoir la sensibilité de l’Assemblée par le tableau des attentats terribles des nègres :

…« Dans le même moment, l’atelier Flaville, celui-là même qui avait juré fidélité au procureur, s’arme, se révolte, entre dans les appartements des blancs, en massacre cinq attachés à l’habitation. La femme du procureur demande à genoux la vie de son mari ; les nègres sont inexorables ; ils assassinent l’époux en disant à l’épouse infortunée qu’elle et ses filles sont destinées à leurs plaisirs.

« M. Robert, charpentier, employé sur la même habitation, est saisi par ses nègres, qui le garottent entre deux planches et le scient avec lenteur. Un jeune homme de seize ans blessé dans deux endroits, échappe à la fureur de ces cannibales, et c’est de lui que nous tenons ces faits.

« Là les torches succèdent aux poignards ; on met le feu aux cannes de l’habitation ; les bâtiments suivent de près… Un colon est égorgé par celui de ses nègres qu’il avait comblé de bienfaits ; son épouse, jetée sur son cadavre est forcée d’assouvir la brutalité de ce scélérat…

« M. Potier, habitant du port Margot, avait appris à lire et à écrire à son nègre commandeur ; il lui avait donné la liberté dont il jouissait ; il lui avait légué 10,000 livres qu’on allait lui payer ; il avait donné pareillement à la mère de ce nègre une portion de terre sur laquelle elle recueillait du café ; le monstre soulève l’atelier de son bienfaiteur et celui de sa mère, embrase