Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/226

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mettent de l’ordre dans leurs affaires. Il en est un plus grand nombre qui doivent beaucoup, parce qu’il y a un grand désordre dans leurs affaires.

« Les premiers aiment la France, sont attachés et soumis à ses lois, parce qu’ils sentent le besoin qu’ils ont de sa protection pour conserver leurs propriétés et l’ordre. Ces premiers colons aiment et soutiennent les hommes de couleur, parce qu’ils les regardent comme les vrais boulevards de la colonie, comme les hommes les plus propres à arrêter les révoltes des noirs. Du nombre de ces colons respectables était M. Gérard, député de la précédente Assemblée. Il ne cessait de tempérer la fougue de ses collègues, qui ne votaient que pour des moyens violents, parce que ces moyens leur paraissaient très propres à créer des troubles nécessaires à leur existence fastueuse et insolvable.

« Les colons dissipateurs écrasés de dettes, n’aiment ni les lois françaises ni les hommes de couleur, et voici pourquoi : ils sentent bien qu’un État libre ne peut subsister sans bonnes lois et sans le respect dû à ses engagements ; ainsi, tôt ou tard ils seront contraints par les mêmes lois à payer leurs dettes ; ils y seront bien plus rigoureusement contraints que sous le despotisme, parce que le despotisme se laisse capter par ses flatteurs aristocrates et leur accorde des lettres de répit, des arrêts de surséance et empêche la loi des saisies de s’exécuter. Mais la liberté ne connaît ni lettres de répit, ni arrêts de surséance. Elle dit et dira bientôt à chacun dans les îles : Si tu dois, paye ou quitte les propriétés à ton créancier. »

« D’un autre côté, les colons prodigues, endettés, n’aiment pas mieux les citoyens de couleur que les noirs, parce qu’ils prévoient bien que ces hommes de couleur presque tous exempts de dettes et réguliers dans leurs affaires, seront toujours portés à défendre les lois et que leur courage, leur nombre et leur zèle peuvent seuls, et même sans le concours des troupes européennes, garantir l’exécution des lois. »

« Un autre motif anime les colons blancs dissipateurs contre les hommes de couleur : c’est le préjugé d’avilissement auquel ils les ont condamnés et que ceux-ci veulent secouer enfin. Ils leur font un crime de leur amour pour l’égalité ; et tandis qu’ils tonnent contre le despotisme ministériel, ils veulent sanctifier et faire sanctifier par une assemblée d’hommes libres le despotisme de la peau blanche… »

« C’est par là qu’on explique tout à la fois dans le cœur du même colon sa haine contre l’homme de couleur qui réclame ses droits, contre le négociant qui réclame sa créance, contre le gouvernement libre qui veut que justice soit faite à tous. »

« Aussi, Messieurs, devez-vous regarder les ennemis de ces hommes de couleur comme les plus violents ennemis de notre Constitution. Ils la détestent parce qu’ils y voient l’anéantissement de l’orgueil et des préjugés ; ils regrettent, ils ramèneraient l’ancien état de choses, s’ils y voyaient des