Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/227

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garants qu’ils pourront impunément opprimer, sans être eux-mêmes opprimés par les ministres.

« La cause des hommes de couleur est donc la cause des patriotes, de l’ancien tiers-état, du peuple enfin si longtemps opprimé.

« Ici, je dois vous prévenir, Messieurs, que lorsque je vous peindrai ces colons qui depuis trois ans emploient les manœuvres les plus criminelles pour rompre les liens qui les attachent à la mère patrie, pour écraser les gens de couleur, je n’entends parler que de cette classe de colons indigents malgré leurs immenses propriétés, factieux malgré leur indigence, orgueilleux malgré leur profonde ineptie, audacieux malgré leur lâcheté, factieux sans moyen de l’être, ces colons enfin que leurs vices et leurs dettes portent sans cesse aux troubles et qui depuis trois ans ont dirigé les diverses assemblées coloniales vers une aristocratie indépendante. Voulez-vous les juger en un clin d’œil ? Méditez ce mot de l’un d’eux, qui le disait pour flagorner le monarque alors puissant : « Sire, votre cour est toute créole. » Il avait raison, il y avait entre eux parenté de vices, d’aristocratie et de despotisme. (Applaudissements.)

« Cette espèce d’hommes a le plus grand empire sur une autre classe non moins dangereuse, celle appelée « les petits blancs », composée d’aventuriers, d’hommes sans principes, et presque tous sans mœurs. Cette classe est le vrai fléau des colonies, parce qu’elle ne se recrute que de la lie de l’Europe. Cette classe voit avec jalousie les hommes de couleur, soit les artisans parce que ceux-ci travaillant mieux et à meilleur marché, sont plus recherchés ; soit les propriétaires, parce que leurs richesses excitent leur envie et abaissent leur orgueil. Cette classe ne soupire qu’après les troubles, parce qu’elle aime le pillage ; qu’après l’indépendance, parce que maîtres de la colonie, les petits blancs espèrent se partager les dépouilles des hommes de couleur.

« Les petits blancs remplissent principalement les villes habitées par une autre classe d’hommes plus respectable, celle des négociants et commissionnaires attachés par leurs intérêts à la France, attachés à la cause des hommes de couleur, parce qu’ils y voient une augmentation de consommation et de prospérité.

« Quels sont donc enfin ces hommes de couleur dont les gémissements se font entendre depuis si longtemps dans la France ? Ce ne sont pas, Messieurs (et il importe de le répéter souvent pour écarter les insinuations perfides des colons), ce ne sont pas des noirs esclaves ; ce sont des hommes qui doivent médiatement ou immédiatement leurs jours au sang européen, mêlé avec du sang africain. Ne frémissez-vous pas, Messieurs, en pensant à l’atrocité du blanc qui veut avilir un mulâtre ? C’est son sang qu’il avilit ; c’est le front de son fils même qu’il marque du sceau de l’ignominie ; c’est pour frapper son fils, qu’il emprunte le glaive de la loi, ou qu’il veut le rendre infâme. »

« Observez encore que les hommes de couleur qui réclament l’égalité des