Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/288

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retenir les autres matières premières indispensables à nos manufactures ; considérant qu’il est de sa sollicitude de prévenir les maux que causerait à la France la disette des dites matières si leur exportation continuait plus longtemps à être permise ; qu’elle doit conserver à tous les citoyens les moyens de pourvoir à leurs premiers besoins, et priver les ennemis de la chose publique de la faculté de faire passer à l’étranger en matières premières, la masse de leurs capitaux, décrète qu’il y a urgence, et après avoir préalablement prononcé l’urgence, décrète ce qui suit :

« Art. 1. — La sortie du royaume, par mer ou par terre, des laines filées ou non filées, des chanvres en masse, en filasse, tayés ou apprêtés ; des peaux et cuirs secs et en vert, et des retailles de peaux et de parchemins, est provisoirement défendue.

« Art. 2. — La sortie des cotons en laine des colonies est provisoirement défendue jusqu’à ce que l’Assemblée nationale ait définitivement statué sur l’augmentation du droit à fixer sur l’exportation de cette denrée dans l’étranger.

« Charge son Comité de commerce de lui présenter incessamment un projet de décret sur cette augmentation. »

On remarquera que pour les cotons, cette interdiction de sortie toute provisoire ne s’applique qu’aux cotons venant des colonies. Cambon avait fait observer que Marseille recevait, pour les réexpédier, des cotons du Levant, que ces cotons étaient très faciles à distinguer de ceux des colonies, et que si on en prohibait la sortie, le commerce marseillais les entreposerait au port de Livourne, et qu’ainsi on aurait détourné de Marseille un grand courant commercial et compromis au lieu de l’assurer l’approvisionnement de nos manufactures. L’Assemblée lui donna raison, de même que déjà la Constituante avait excepté des mesures prohibitives les soies du Levant.

Même pour les laines, il fallut bien, avec lenteur, il est vrai, et mauvaise grâce, accorder quelques atténuations et exceptions ; après une première lecture en mars, une seconde en avril, l’Assemblée n’accorda que le 14 juin un décret qui permettait d’exporter à l’étranger les laines étrangères non filées qui justifieraient de leur origine. Le même décret accordait en outre aux fabricants de drap de Sedan, et aux manufacturiers de Rethel, de Reims, le bénéfice de l’exemption du droit sur les laines préparées qu’ils envoyaient filer à l’étranger et qu’ils faisaient rentrer en France. De même, les entrepreneurs des retorderies de fils dans le département du Nord et dans celui de l’Aisne, pouvaient envoyer ces fils à l’étranger pour y être blanchis et ensuite réimportés dans le royaume en franchise.

Mais ces exceptions mêmes ne font que marquer le souci de l’Assemblée de réserver le plus possible à la production française les matières premières nécessaires à l’industrie. Pour le coton, le droit à l’exportation fut décidément élevé à 50 livres le quintal. Visiblement, une sorte d’instinct avertit la