Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/289

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France, en cette période de 1792, de se resserrer, de se clore. Le jeu des changes qui permet aux étrangers d’acheter à bon compte toutes les matières et marchandises l’oblige à se replier et à se défendre.

En fait, c’est déjà la guerre qui commence sous forme économique entre la Révolution et le reste du monde. Si l’assignat est discrédité au dehors, c’est parce qu’il n’y a pas dans le reste de l’univers des forces suffisamment intéressées au succès de la Révolution. Elle éveillait dans l’esprit des peuples des sympathies partielles et incertaines. Mais ni la bourgeoisie allemande, ni la bourgeoisie hollandaise, ni la bourgeoisie anglaise, ni la classe ouvrière d’Amsterdam et de Londres n’avaient fait, si je puis dire, leur chose du succès de la Révolution. Si elles l’avaient espéré et voulu, elles auraient maintenu le cours de l’assignat et affirmé leur foi en la Révolution par leur foi en la monnaie de la Révolution. Le discrédit de l’assignat au dehors marque et mesure le discrédit de la Révolution elle-même dans l’esprit des peuples. Le monde n’y est pas préparé comme la France, et cette différence du niveau révolutionnaire se traduit par une différence correspondante dans le niveau de l’assignat en deçà et au delà de nos frontières.

Dénoncer à ce sujet la spéculation comme le faisait Delaunay, comme le faisait Clavière lui-même, était assez puéril et superficiel. Elle pouvait profiter, pour ses jeux innombrables, de ces différences de niveau ; elle pouvait les aggraver, mais c’est bien la désharmonie fondamentale de la France révolutionnaire et du reste du monde qui était la cause première et essentielle du discrédit de l’assignat sur les marchés extérieurs. Ce discrédit de l’assignat au dehors agissait comme une pompe aspirante sur nos produits, sur nos matières premières, et la production française se trouvait à la fois encouragée par la demande des produits, menacée par la demande des matières premières. La Révolution, troublée et tâtonnante, cherchait à parer au danger en prohibant l’exportation des matières nécessaires au travail national.

Si la Gironde, au lieu de se griser de mots sur la spéculation, avait réfléchi aux causes profondes de ce phénomène, elle y aurait vu le signe le plus certain, l’indice le plus exact de l’insuffisante préparation révolutionnaire du reste du monde, et elle n’aurait pas accueilli avec un enthousiasme aussi facile l’idée d’une guerre universelle où à la propagande de la Révolution répondrait en un écho immense et immédiat la sympathie des peuples. Entre le resserrement économique auquel était dès ce moment obligée la France et la prodigieuse expansion révolutionnaire rêvée par la Gironde, il y avait une contradiction essentielle que ces esprits infatués et confiants ne démêlèrent pas. Ils disaient bien, il est vrai, que la guerre victorieuse rétablirait partout dans le monde le cours des assignats. L’adresse que les Jacobins, sous l’influence belliqueuse de la Gironde, envoient aux sociétés affiliées, à la date du 17 janvier 1792, exprime cette espérance :

« Hâtons-nous donc…, plantons la liberté dans tous les pays qui nous