Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et cette surexcitation économique, si elle élevait parfois le prix des denrées, élevait aussi le travail et les salaires.

Le manque de petits assignats et de petite monnaie fut un moment pour les industriels et pour les ouvriers une grande gêne. En novembre, les petits assignats de 5 livres, encore très rares, sont tellement recherchés qu’ils font prime par rapport aux gros assignats. Le 28 novembre, Haussman dit à l’Assemblée :

« Les petits assignats sont l’unique ressource du commerce, et si vous ne prenez pas toutes les mesures pour vous opposer à leur gaspillage, vous en priverez les départements. »

« Les précautions les plus sévères doivent être prises dans cet échange. Il faut se garantir de cet agiotage qui, dans les payements, substitue les gros assignats aux petits qui se vendent avec 7 ou 8 pour 100 de bénéfice. » En sorte que si le peuple avait eu en mains les assignats de 5 livres, il n’aurait pas souffert d’une dépréciation très grande, puisqu’ils perdaient moins que les gros assignats. Mais, d’autre part, l’assignat de 5 livres lui-même était incommode, tant que des assignats plus petits n’avaient pas été créés, car il était difficile de trouver à l’échanger contre de la monnaie plus petite, et cela, en plusieurs régions, pesait sur le petit assignat. Merlin, démontrant la nécessité de toutes petites coupures d’assignats, dit le 13 décembre : « Les assignats même de 5 livres sont tellement incommodes que dans mon département, à Metz, par exemple. Ils perdent 14 pour cent (sur les écus) : ce qui produit une surhausse des denrées de première nécessité et qui forcerait peut-être le peuple à une nouvelle insurrection. »

La petite monnaie était si rare que les ouvriers qui payaient la plupart moins de 5 livres de contribution, n’auraient pu payer leur impôt s’ils ne s’étaient entendus pour grouper leur payement et s’ils n’y avaient été autorisés par un règlement spécial. En beaucoup de points, les industriels, pour payer leurs ouvriers, étaient obligés, par un curieux phénomène de rétrogradation, de substituer le paiement en nature au paiement en espèces. Ils achetaient du blé, de la toile, et distribuaient ces marchandises aux ouvriers. Le besoin d’une toute petite monnaie était si grand que l’institution des billets de confiance se développa prodigieusement.

C’étaient des banques privées qui émettaient de tout petits billets et qui les remettaient en échange des assignats. En quelques régions, comme les Ardennes, c’est le directoire même du département qui prit l’initiative de cette création : et cela réduisait au minimum les chances d’agiotage et de perte.

Mais presque partout, ces institutions, si elles rendirent un grand service en maintenant la circulation et en donnant à la Révolution le temps d’émettre enfin de tout petits assignats, firent payer cher ce service. D’abord, les assignats de 5 livres s’échangeaient à perte contre ces billets de confiance :