Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/310

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« J’appuie la motion, dit le père Bondo, le plus fort de tous les forts du port et de la Halle, et je demande que le père Duchesne soit régent du royaume pendant l’imbécillité Gilles Capet, ci-devant roi de France. Vive le père Duchesne ! Vive le père Duchesne !

« Me voilà aussitôt proclamé régent, on promet de soutenir mon droit avec trois cent mille piques ; allons, foutre, ça ira. Que feras-tu, père Duchesne, à ton avènement à la régence ? Je commencerai par foutre la pelle au cul à tous les faux patriotes qui se sont glissés comme des serpents à l’Assemblée nationale, à la Municipalité, dans le département. Je vous assemble une nouvelle législative composée non seulement des citoyens actifs, mais de tous les braves gens pauvres ou riches qui mériteront cet honneur par leur patriotisme et leurs talents.

« Quand le Corps législatif sera ainsi bien organisé, je n’aurai pas l’insolence, foutre, de vouloir marcher sans égal, de prétendre réunir seul la moitié de la force de la nation, de dévorer à moi seul de quoi faire vivre tous les citoyens d’un département.

« Je me contenterai donc de veiller seulement sur la machine et d’avertir les ouvriers quand il se dérangera quelque chose. Je protégerai les arts, je soutiendrai le commerce, je ferai couper le cou à tous les agioteurs… Cependant Gilles Capet aura terminé sa vie honteuse dans sa loge, et son abominable femme sera crevée à la Salpétrière ; leur fils alors sera devenu grand, il aura été élevé dans le travail et la misère, il aura oublié tout son premier attirail ; enfin il aura appris à être homme et citoyen, on pourra, si l’on veut à cette époque, si on a besoin, je ne dis pas d’un roi, car il n’en faut pas si on veut être libre, mais si on a absolument besoin d’un premier faussaire, on pourra jeter les yeux sur lui et il succédera au père Duchesne ! »

Étrange servitude de l’esprit qui, même dans sa révolte puissante et ordurière contre la royauté, ne parvient pas à se débarrasser encore, complètement, de l’hypothèse royale.

C’est sous cette forme confuse que le peuple commençait à entrevoir la République. Cet article d’Hébert marque sans doute la pointe la plus hardie de la pensée populaire à cette date : c’est presque la République et c’est la démocratie, sans distinction de citoyens actifs et de citoyens passifs, et, en matière sociale, ce sont des lois contre les agioteurs, mais aucune conception nouvelle de la propriété.

Cette exaltation quasi-républicaine tombe après le retour du roi, et le père Duchesne lui-même, en des fictions apaisées, va rendre visite à Louis XVI, en son Palais des Tuileries, pour le féliciter d’avoir accepté la Constitution et pour l’avertir sur un ton moitié confiant, moitié grondeur, de lui rester cette fois fidèle.

Hébert se laisse même aller à l’enthousiasme le jour où la Constitution est proclamée dans Paris ; « le bruit du canon nous retentissait dans le