Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/329

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cahiers paysans, dont l’accent si véhément retentit encore à notre pensée, malgré les efforts des légistes bourgeois des villes pour en amortir et assourdir la puissance. Vraisemblablement, les mêmes légistes et praticiens de villages qui aidèrent les paysans à rédiger les cahiers vibrants des paroisses concourent, aujourd’hui, à organiser le mouvement et fixent avec une certaine sagesse le prix auquel il convient de payer les denrées.

À Melun, trente communes en armes se présentent à la halle pour y taxer le pain : à la demande de la municipalité de Melun les communes rurales déposent les armes, mais maintiennent la taxation du pain. Le mouvement se fait d’ensemble, avec unité et mesure.

Parfois, il est vrai, comme à Épernon, dans le Loir-et-Cher, il n’y a qu’un soulèvement tumultueux et pour taxer uniquement le blé et le pain, « Si nous diminuons notre blé de 4 francs, demandent les propriétaires, c’est-à-dire, si nous le donnons pour 20 livres, sera-t-on content ? » Alors « le nommé François Breton, terrassier à Épernon, armé d’un bâton d’environ deux pieds de long, le nommé Conice, journalier au Paty, commune de Bancher, armé d’un sabre, le nommé Marigny fils dit Cucu, le nommé Georges Pichot, se récrient sur le prix du pain, les trois premiers sont montés sur les sacs et ont dit : C’est trop cher, nous le voulons à 18 livres. Et pendant ce temps, la garde nationale de Banches et quarante gardes nationaux de Houx, « armés de fusils, de hallebardes, serpes et autres instruments », aidaient le peuple à imposer à la municipalité d’Épernon la taxation du grain. Le commandant de la garde nationale de Houx, le nommé Legueux, était parmi les plus animés.

Ainsi les gardes nationales villageoises, formées en grande partie de paysans pauvres et de petits cultivateurs, mettaient au service des revendications paysannes la force légale qu’elles avaient reçue de la Révolution. Sur l’état d’esprit des gardes nationaux des campagnes cela jette un jour curieux. Là vraiment, la distinction des citoyens actifs et passifs était à peu près illusoire, et sans doute le pauvre paysan qui payait assez d’impôt pour être citoyen actif et garde national ne s’offensait pas en un jour de soulèvement, que le citoyen « passif », armé d’une pioche ou d’une hache se joignît à lui pour ramener à un prix modéré le pain trop cher et aussi les fers de la forge dont tous avaient besoin pour leur houe, leur pelle ou leur charrue. Certes, tous ces paysans n’avaient pas de grandes vues générales. Il n’apparaît pas qu’ils aient su rattacher leurs revendications aux principes de la Révolution et aux Droits de l’Homme. Aussi étaient-ils parfois suspects, non seulement à la bourgeoisie possédante, mais aux ouvriers révolutionnaires des petites villes ; c’est ainsi que dans l’Eure, les gardes nationaux de la commune de l’Aigle, parmi lesquels il y avait beaucoup d’ouvriers, contribuèrent très activement à réprimer ces mouvements paysans. Les ouvriers de l’Aigle travaillaient dans des fabriques d’épingles ; mais par suite du manque