Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/332

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ments des tribunes. Il y eut grand émoi des députés dont beaucoup demandèrent que les propriétés des nobles et des émigrés, en attendant que la nation en disposât, fussent mises spécialement sous la surveillance et la protection des corps administratifs. Il paraît certain que si l’Assemblée n’avait pas statué assez vite sur les biens des émigrés, un irrésistible mouvement d’agression et de pillage se serait produit. Il n’est qu’à voir, en avril, le soulèvement de plusieurs cantons du district de Nîmes et du district d’Alais. De grandes troupes de paysans se mettaient en marche pour abattre les écussons seigneuriaux de plusieurs châteaux, pour en piller et brûler une vingtaine, et telle était l’exaspération générale contre ceux qui après avoir pressuré le pays le trahissaient, et appelaient l’étranger, qu’au témoignage du directoire du département du Gard « aucune force publique n’appuyait la résistance, et l’égarement des gardes nationaux était tel qu’ils regardaient comme des actes de patriotisme les coupables violences qui se commettaient sous leurs yeux. »

Les biens d’Église étaient à l’abri de ces violences instinctives et sauvages. Ils avaient été déclarés biens de la nation, et, soit qu’ils eussent été acquis par les municipalités et encore en leur possession, soit qu’elles les eussent mis en vente, ils n’étaient plus des biens d’église : ils faisaient partie du monde nouveau. Tous les souvenirs d’oppression, d’exploitation et de haine étaient comme dissipés par l’éviction de l’Église et par l’avènement de nouveaux propriétaires. Tous ceux, grands bourgeois, petits bourgeois, paysans, artisans, qui en avaient acquis ou qui en convoitaient ne fût-ce qu’une parcelle, veillaient sur la sûreté d’un bien qui était leur ou destiné à le devenir. Ainsi, pour les biens d’église, la vaste expropriation révolutionnaire et légale prévenait les violences individuelles. Au contraire, les seigneurs, les nobles, avaient gardé la propriété de leurs domaines ; bien mieux, comme nous l’avons vu, ils prétendaient encore, selon la lettre et l’esprit des décrets de la Constituante, percevoir les rentes féodales non encore rachetées. Et lorsque les nobles, ne laissant au domaine ou au château que leurs hommes d’affaires, allaient à l’étranger emportant leurs écus, privant le pays de leurs dépenses dont il vivait, les colères étaient au comble : je vois, par exemple, dans un « procès-verbal de la conduite de la municipalité de Villefranche, dans l’Aveyron (du 27 avril), qu’en cette région sauvage où tant de durs châteaux hérissaient les crêtes et terrorisaient les vallées, les esprits, un moment excités dans les premiers jours de la Révolution, puis assez calmes dans les années 1790 et 1791, s’étaient soulevés au printemps de 1792.

« Ce fanatisme incendiaire, dit le procès-verbal, gagna notre département au commencement de la Révolution ; mais le supplice de quelques coupables arrêta la contagion. Toutes les propriétés ont été respectées parmi nous jusqu’au temps où l’émigration et les menaces de quelques ci-devant seigneurs ont servi de motif ou de prétexte à de nouveaux pillages. » Et, ce qui est