Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/333

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frappant, c’est qu’à ces pillages toute la population semble participer avec une absolue sécurité de conscience. C’est comme la prise de possession d’un bien que le noble détenait injustement. Je ne sais rien de plus significatif à cet égard et de plus baroque tout ensemble que le procès-verbal de la gendarmerie après le pillage du château de Privezac. On y voit qu’il n’y a presque pas de maison où quelque objet du château ne soit bizarrement mêlé au pauvre mobilier des paysans ou artisans aveyronnais.

« Chez la femme Romire, nous avons trouvé une jupe de houdrin verte, une pièce papier tapisserie, une veste de chasse drap de Silésie, boutons jaunes, etc., etc. (J’abrège forcément…) Étant entrés chez Gabriel Lausiac, dit Caffé, avoir trouvé dans la maison un fauteuil en damas citron avec son coussin et deux chaises garnies en jonc… Dans la maison de Jeanne Pourcel, fille de feu Bernard, avons trouvé un fauteuil en damas citron… une boîte à toilette en fer blanc, un manchon peau de cygne, un chapeau de paille à haute forme… Chez Joseph Mestre, aubergiste, commençant par fouiller son écurie, avons trouvé une vache (qu’il avoue provenir de l’écurie de M. de Privezac.) Chez Marie Levet, un morceau d’étoffe en rouge, une porte de grande armoire… Chez Gabriel Brugnet, trois roues de charrette, quatre charrues… Chez Jean Magner, charron, quatre contrevents, un porte-manteau en cuir… Chez Pierre Adémar, peigneur de laine, un sac de lentilles, un rideau de voiture, une serviette pour des enfants… Chez Antoine Bories, matelas, chaises, paire de draps de lit toile de Rohan… Chez Bernard Vidal, surtout en soie, trois jupes en blanc garnies en falbalas, couverte piquée en soie verte, coiffes fines garnies de dentelles de Flandre, un chapeau rond à haute forme, souliers pour femme, roues de charrettes, etc., etc. Dans la maison Bedene, malle pleine d’effets, de jupes, déshabillés, etc..

Et parmi les personnes désignées comme ayant donné l’assaut, je relève à côté de beaucoup de fils de propriétaires paysans, bien des artisans ; Pierre Grais, couvreur, du lieu de Privezac ; Jean-Antoine Foissac, dit Lou David, charpentier ; et son frère, tailleur, dudit Privezac ; Guillaume Tournier, couvreur, Pierre François dit Morigon, couvreur, du village d’Anglas ; Couderc, charpentier de la paroisse de Drulille, etc., etc.

Tout le pays y était et tous avaient emporté quelque chose. Si l’Assemblée n’avait pas prononcé le séquestre des biens des émigrés, si elle n’avait pas, si je puis dire, au fronton des châteaux armoriés, remplacé les vieux écussons par la Nation et la loi, il est probable que partout des scènes de pillage, assez répugnantes d’ailleurs, se seraient produites. De même, si la Révolution sociale éclatait avant que l’organisation du prolétariat fût assez forte, ce n’est qu’en nationalisant sans retard les usines, les grands magasins et les grands domaines qu’on les sauverait, en plus d’une région, de la destruction sauvage ou des basses pilleries.

La proposition de Lamurque fut renvoyée au Comité de législation. Et