Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/340

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talisme privé et le domaine d’État, qui pendant tout le dix-neuvième siècle se poursuivra à propos des chemins de fer, des mines, des canaux, et encore des forêts. Turpetin, député du Loiret, disait, au contraire de Vuillier :

« On ne saurait se dissimuler qu’il n’y a que des compagnies de capitalistes en état d’acquérir de grandes masses de forêts. Il en est qui couvrent plusieurs lieues de terrain, sans être divisées par aucune autre propriété ; aussi n’y a-t-il rien à espérer de la concurrence et tout à craindre de la cupidité. D’avides millionnaires sollicitent et pressent votre décision. Ce qu’ils auront à payer d’abord, ils le trouveront, et au delà, dans la seule superficie. »

« Les compagnies sont prêtes, s’écrie à son tour Chéron, député de Seine-et-Oise, elles attendent, pour lever leur tête hideuse, que vous leur ayez jeté leur proie ; déjà même la calomnie a osé proférer de sa bouche impure que ces compagnies de conspirateurs avaient l’audace et l’impudence de se vanter qu’elles étaient sûres du succès de leurs complots… et qu’il existait parmi nous des membres assez corrompus pour être en relation intime avec elles… Le cri d’alarme qui s’est élevé dans tous les points de la France sur cette funeste proposition n’est pas le cri d’une faction corrompue, c’est le cri du besoin, c’est la voix impérieuse du peuple, du souverain, qui tonne contre les agioteurs : « Vous ne détruirez pas mes forêts ; c’est mon bien, c’est celui de mes enfants ; c’est avec elles que je construis mon logement, que je corrige la rigueur de l’hiver ; c’est à elles que je dois le manche de ma bêche, le corps de ma charrue et le bois qui porte le fer garant de ma liberté. »

Nombreux enfin sont les députés ou les pétitionnaires qui signalent l’état de dépendance où tomberait l’industrie à l’égard des capitalistes maîtres des forêts. Ici encore, on croit entendre, à propos des forêts, la longue plainte qui s’élèvera pendant tout le dix-neuvième siècle contre les compagnies de transport et les compagnies de charbonnages, maîtresses par leurs tarifs de la production. Étienne Cunin, député de la Meurthe, dit, le 2 mars, avec précision et force :

« Les départements de la Meurthe, Meuse, Moselle, Vosges, Doubs, Jura, Haute-Saône, à raison de l’humidité du sol et de la graisse de leurs pâturages n’ont que des laines très grossières ; la même cause et la froideur du climat leur interdisent l’élève des vers à soie et ne leur donnent que des lins et chanvres de la dernière qualité… La nature leur a donné en dédommagement des sources salées et des mines de fer ; l’industrie des habitants, qui ne pouvait soutenir la concurrence des autres fabriques du royaume (pour les draps et soieries), s’est portée vers l’exploitation des mines et des autres usines à feu. Dépourvus de fossiles combustibles, mais riches en forêts, dont la quantité, dans l’ancienne province de Lorraine seule, est à peu près d’un quart de toutes celles du royaume, les habitants ont établi et construit des salines, des forges, fonderies, ferblanteries, des verreries et des faïenceries ; le produit de ces manufactures, versé chez l’étranger et dans l’intérieur de la France