Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/346

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de ce qu’ils avaient et à qui vos législateurs ont dit en les insultant : C’est pour votre bien que nous vous dépouillons ; c’est pour vous sanctifier, pour vous exercer à la patience, à la vertu. Soyez résigné ; si vous avez la vie sauve, vous serez encore fort heureux. »

Si j’ai reproduit ce réquisitoire assez banal, c’est parce qu’il résume les innombrables pamphlets par lesquels les prêtres, les nobles, les parlementaires, la vieille oligarchie bourgeoise et les coloniaux exhalaient leur fureur et cherchaient à créer la panique. Ce qui est plus intéressant et plus original, c’est le moyen juridique par lequel Séguier essaie de jeter le doute dans l’âme des acquéreurs de biens nationaux. Il constate que les assignats sont hypothéqués sur les biens du clergé, et il ajoute :

« Je demande ce que deviendra l’hypothèque des assignats qui resteront après la vente faite de tous les biens ? Que deviendra l’hypothèque des créanciers du clergé, celle des créanciers de l’État, celle des anciens fonctionnaires publics pour leurs traitements ?… Les acquéreurs des domaines nationaux doivent savoir, par là même, à quelles obligations les biens qu’ils achètent sont hypothéqués. Or, les porteurs d’assignats et les créanciers qui resteront après les ventes consommées seront-ils privés de l’hypothèque que leur titre leur promet ? N’auront-ils pas le droit d’attaquer tous les acquéreurs et de demander la contribution ? Si j’ai quelques notions de droit, il me semble que tel est l’effet de l’hypothèque, et que quand on fait tant que de la promettre, on doit en donner l’effet entier, sinon la nation serait, comme le disait fort bien M. Mirabeau, une voleuse. »

Ainsi, les acquéreurs de biens nationaux sont avertis que si, après la vente complète des biens d’Église, tous les assignats ne sont pas éteints, ce sont les biens acquis par les bourgeois et les paysans révolutionnaires qui serviront à en garantir et réaliser la valeur. Le grand conservateur Séguier, au moment même où il gémit sur la destruction de toute propriété, frappe de discrédit la propriété nouvelle que la Révolution fait sortir du chaos de l’ancien régime. Et il ne m’est pas démontré que si la contre-révolution avait été victorieuse, elle n’aurait pas recouru au moyen juridique imaginé par Séguier pour ressaisir tous les biens vendus. Elle aurait trouvé piquant d’alléguer pour cela un titre révolutionnaire, l’hypothèque de l’assignat. À la première victoire de la contre-révolution, les assignats seraient tombés à rien, le Trésor les aurait acquis à vil prix, et il aurait ensuite exercé sur les biens des révolutionnaires le droit d’hypothèque tel que le définit Séguier. Innombrables étaient les combinaisons de l’ancien régime pour préparer le retour au passé et semer l’épouvante chez tous les possédants.

Les réacteurs affirmaient que dès lors toute propriété était ou frappée ou en péril. Un des plus modérés, Mallet-Dupan, quand il résumait dans le Mercure l’œuvre de l’Assemblée constituante, disait : « Elle laisse… le droit de propriété, attaqué, miné dans ses fondements. » Mais le 16 mars 1792, c’est