Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/353

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aucun privilège d’aucune sorte ne fait obstacle à l’humanité, il oriente la Déclaration des Droits de l’Homme vers la grande lumière socialiste qui n’a pas encore percé, qui se lèvera avec le babouvisme, mais qui semble déjà s’annoncer au lointain des plaines, et d’un reflet à peine visible, peut-être illusoire, blanchir le bas de l’horizon.

Les pétitionnaires accusent le maire d’Étampes, riche tanneur de vingt mille livres de revenu, d’avoir opposé à un mouvement du peuple la lettre brutale et l’orgueil inflexible de la loi.

« Au lieu de s’appliquer à ramener un peuple égaré, au lieu de chercher à calmer ses alarmes sur les subsistances, il ne fit que l’aigrir en repoussant durement toute espèce de représentation.

« Le maire avait la loi pour lui, dira-t-on, et le peuple agissait contre. La loi défend expressément de mettre aucun obstacle à la liberté du commerce des grains. C’était donc un attentat punissable de vouloir l’enfreindre. Nous n’avons garde. Messieurs, de faire sur l’étendue de cette loi aucune observation… Nous savons aujourd’hui, plus que jamais, comment, au nom de la loi, tout doit rentrer dans un religieux respect ; cependant il est une considération qui a quelque droit de vous frapper : c’est que souffrir que la denrée alimentaire, celle de première nécessité, s’élève à un prix auquel le pauvre ouvrier, le journalier ne puisse atteindre, c’est dire qu’il n’y en a pas pour lui, c’est dire qu’il n’y a que l’homme riche, qu’il soit utile ou non, qui ait le droit de ne pas jeûner. Qu’ils sont heureux, ces mortels qui naissent avec un si beau privilège ! Cependant, à ne consulter que le droit naturel, il semble bien qu’après ceux qui, semblables à la Providence divine, dont la sagesse règle l’ordre de cet univers, pourvoient par leurs lumières à l’ordre social et cherchent à en établir les lois sur leurs vraies bases, après ceux qui exercent les importantes fonctions de les faire observer dans leur exacte justice ; il semble bien, disons-nous, qu’après ceux-là le bienfait de la société devrait principalement rejaillir sur l’homme qui lui rend les services les plus pénibles et les plus assidus ; et que la main qui devrait avoir la meilleure part dans la nature est celle qui s’emploie le plus à la féconder. Néanmoins le contraire arrive, et la multitude déshéritée dès en naissant se trouve condamnée à porter le poids du jour et de la chaleur et à se voir sans cesse à la veille de manquer d’un pain qui est le fruit de ses labeurs. Ce tort n’est assurément point un tort de la nature, mais bien de la politique qui a consacré une grande erreur sur laquelle posent toutes nos lois sociales, d’où résultent nécessairement et leur complication et leurs fréquentes contradictions ; erreur qu’on est loin de sentir et sur laquelle il n’est peut-être pas bon encore de s’expliquer, tant elle a vicié toutes nos idées de primitive justice ; mais erreur d’après laquelle on a beau raisonner ; il nous reste toujours un sentiment profond que nous, hommes de peine, devons au moins pouvoir manger du pain, à moins que la nature, parfois ingrate et fâcheuse, ne répande sur nos moissons le