Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/355

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comme pour en interdire tout examen ; mais la raison ne doit reconnaître aucun dogme politique qui lui commande un aveugle respect et une fanatique soumission. Sans remonter aux véritables principes d’après lesquels la propriété peut et doit avoir lieu, il est certain que ceux que l’on appelle propriétaires ne le sont qu’à titre de bénéfice de la loi. La nation seule est réellement propriétaire de son terrain. Or, en supposant que la nation ait pu et dû admettre le mode qui existe pour les propriétés partielles et pour leur transmission, a-t-elle pu le faire tellement qu’elle se soit dépouillée de son droit de souveraineté sur les produits, et a-t-elle pu tellement accorder de droits aux propriétaires qu’elle n’en ait laissé aucun à ceux qui ne le sont point, pas même ceux de l’imprescriptible nature ? Mais il y aurait un autre raisonnement à faire bien plus concluant que tout cela. Pour l’établir, il faudrait examiner en soi-même ce qui peut constituer un droit réel de propriété, et ce n’en est pas ici le lieu.

« J.-J. Rousseau a dit quelque part que « quiconque mange un pain qu’il n’a pas gagné, le vole ». Les philosophes trouveront dans ce peu de paroles un traité entier sur la propriété. Quant à ceux qui ne le sont pas, ils n’y verront, comme dans tout ce qui choque, qu’une sentence paradoxale. »

Mais les théories de Jean-Jacques, qui pouvaient ne sembler que des « paradoxes », ont pris un sens beaucoup plus précis depuis que toute la nation a proclamé les Droits de l’Homme et que le peuple a une conscience plus nette de sa force. C’est à des essais de taxation du blé que Dolivier rattache ses théories audacieuses sur la propriété foncière. Et on peut se demander si dans la conscience du peuple révolutionnaire le droit absolu de la propriété privée du sol ne commence pas à être entamé.

Robespierre intervint dans le débat provoqué par les événements d’Étampes. Toujours il se donnait comme le défenseur de la Constitution et des lois.

Mais il demandait que la Constitution et les lois fussent interprétées et appliquées dans le sens le plus populaire et le plus humain. Il se plaignait que le crime commis par le peuple souffrant sur le riche maire d’Étampes fût traité par la bourgeoisie modérée comme un crime exceptionnel, et que de pauvres gens fussent accablés de tant d’indignations véhémentes et de poursuites implacables, quand tous les grands crimes de trahison, de péculat, d’accaparement demeuraient impunis. Les Feuillants ayant fait des obsèques de Simonneau une contre-manifestation modérée en réponse au « triomphe » des soldats de Châteauvieux, Robespierre dénonça les efforts de l’oligarchie bourgeoise pour faire tourner au profit de sa domination égoïste même l’indignation naturelle que provoque le meurtre. Il demanda un respect plus sincère, une interprétation plus loyale des lois, et avec son immuable souci d’équilibre, il esquissa un plan social assez vague où il indiqua les mesures très générales qui devaient être prises dans l’intérêt du peuple et où il