Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/369

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tive. Il indique que l’on pourrait établir des « caisses de secours et d’accumulation », c’est-à-dire des caisses d’épargne, et s’il est bien vrai que cela ne dépasse pas le cercle de ce que nous appelons la mutualité, on verra dès maintenant, on verra bientôt plus nettement encore que c’est un grand esprit révolutionnaire et humain qui anime cette conception mutualiste, et que Condorcet espère arriver par là à un degré d’égalité sociale, ou tout au moins d’équilibre social, qui fasse de la société renouvelée un type sans précédent de bonheur commun.

Dans une nation qui occupe un grand territoire, où la population est nombreuse, où l’industrie a fait assez de progrès pour que non seulement chaque art, mais presque chaque partie des différents arts soit la profession exclusive d’un individu, il est impossible que le produit net des terres ou le revenu des capitaux suffise à la nourriture et à l’entretien de la presque totalité des habitants et que le salaire de leurs soins et de leur travail ne soit pour eux qu’une sorte de superflu. Il est donc inévitable qu’un grand nombre d’hommes n’aient que des ressources, non seulement viagères, mais même bornées au temps pendant lequel ils sont capables de travail, et cette nécessité entraîne celle de faire des épargnes, soit pour leur famille s’ils meurent dans la jeunesse, soit pour eux-mêmes s’ils atteignent à un âge avancé.

« Toute grande société riche renfermera donc un grand nombre de pauvres, elle sera donc malheureuse et corrompue s’il n’existe pas de moyens de placer avantageusement les petites épargnes et presque les épargnes journalières.

« Si, au contraire, ces moyens peuvent devenir presque généraux, les nécessiteux seront en petit nombre ; la bienfaisance n’étant plus qu’un plaisir, la pauvreté cessera d’être humiliante et corruptrice, et si on a une Constitution bien combinée, de sages lois, une administration raisonnable, on pourra voir enfin sur cette terre, livrée si longtemps à l’inégalité et à la misère, une société qui aura pour but et pour effet le bonheur de la pluralité de ses membres… Ces établissements offriraient des secours et des ressources à la partie pauvre de la société ; ils empêcheraient la ruine des familles qui subsistent du revenu attaché à la vie de leur chef ; ils augmenteraient le nombre de celles dont le sort est assuré ; ils concilieraient la stabilité des fortunes avec les variations qui sont la suite nécessaire du développement de l’industrie et du commerce, et contribueraient à établir ce qui n’a jamais existé nulle part, une nation riche, active, nombreuse, sans l’existence d’une classe pauvre et corrompue… »

Encore une fois il serait prématuré de discuter à fond une conception qui n’est ici qu’un incident. Mais ce qui frappe précisément c’est, si je puis dire, l’accent de réalité que prennent, dès 1792, les grandes paroles de justice fraternelle et d’égalité. Il ne s’agit plus de spéculations de philosophe. C’est devant une assemblée politique, à propos d’un problème précis de finance,