Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/370

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qu’un législateur habitué aux affirmations solides de la science, annonce une société nouvelle, une humanité sans précédent, où le libre essor des inventions et de la richesse aura comme fond, comme support et contrepoids une sorte d’aisance générale systématiquement organisée, un bien-être permanent et universel au-dessus duquel se joueraient les vagues changeantes de la fortune et de la vie. Il ne s’agit point de solliciter, dans l’immense multitude pauvre, quelques hommes d’un rare courage et de les appeler à l’épargne. Il ne s’agit point d’isoler de la masse souffrante les éléments les plus actifs et de les incorporer à un ordre social oligarchique. Il s’agit de donner à tous les hommes, dans une société déterminée, des garanties stables contre la misère sous toutes ses formes, et la conception de Condorcet a d’emblée l’ampleur que prendront un siècle plus tard, dans les États de l’Europe industrielle, sous l’action croissante de la démocratie, du socialisme et de la classe ouvrière, les institutions ou les projets d’assurance sociale contre la maladie, l’accident, le chômage, l’invalidité. Ainsi, en ces premières années de la Révolution, en même temps que le communisme de Babœuf se prépare et s’annonce par la puissance politique grandissante des prolétaires, par les premiers essais de taxation de denrées, par les théories sur la propriété foncière et par la suspicion où les militants de la Révolution commencent à tenir la classe industrielle, le mutualisme, en sa formule la plus hardie et sa tendance la plus généreuse, s’annonce aussi par les paroles de Condorcet. Et nous sommes à peine à trois ans de distance de ces premières journées révolutionnaires où c’est la bourgeoisie des rentiers qui décidait le mouvement ! Comme le prolétariat a grandi vite, et comme le feu de l’action révolutionnaire a hâté la maturation des germes !

C’est un beau et vaste plan d’instruction publique universelle que Condorcet, au nom du Comité d’instruction publique, porta à la tribune de l’Assemblée le 20 avril, et qui, en un symbolisme tragique, fut interrompu par la déclaration de guerre. C’est la grande clarté de la science et de la raison, c’est la grande lumière du xviiie siècle qu’il veut communiquer à tous les esprits. Il ne s’agit pas là d’une législation oligarchique à construire. Il n’y aura pas des cerveaux « actifs » et des cerveaux « passifs ». Sans doute il y aura des degrés dans l’instruction correspondant à la diversité des besoins et des conditions, mais aucun citoyen, aucun enfant de citoyen ne sera écarté par sa pauvreté de la grande et simple lumière, l’école primaire sera primitivement ouverte à tous. La Constituante n’avait pas eu le temps de donner à la France un système d’éducation. Pressée par des travaux immenses, elle avait en somme remis à l’avenir le soin de créer une instruction nationale. Elle s’était bornée à introduire dans la Constitution un principe très général, et à entendre, les 10, 11 et 19 septembre 1791, quelques jours à peine avant de se séparer, la lecture d’un beau travail de Talleyrand. L’article constitutionnel, qui contenait en germe tout un système d’éducation, disait :