Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/373

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paru une dette rigoureuse de la société envers tous. Il faut qu’elle l’acquitte sans restriction. »

C’est une belle application de la théorie du contrat. C’est, si je puis dire, le contrat social élevé à la conscience. L’enfant, avant d’entrer dans l’association qu’est la société, doit apprendre de cette association même quels en sont les principes et les règles. L’instruction primaire, c’est comme la lecture faite par la société aux enfants des statuts de l’association où ils vont entrer.

Pour le premier degré de l’instruction c’est donc la gratuité absolue. Pour les autres ce sera la gratuité partielle. L’État se bornera à assurer l’existence des autres enseignements ; mais au delà de ce minimum de dépense, il laissera la charge aux citoyens eux-mêmes qui veulent directement participer aux avantages d’une instruction supérieure. Il semble à Talleyrand que la gratuité absolue de tous les degrés d’enseignement opérerait un déclassement universel. Il suffira donc que les individus doués de talents particuliers soient aidés par l’État à « parcourir tous les degrés de l’instruction ».

Talleyrand et la Constituante affirment très énergiquement « la liberté d’enseignement » ; pas de privilège exclusif, pas de monopole, que ce soit le monopole de l’État ou un autre. Mais quel sens avait en 1791 et 1792 la liberté de l’enseignement ? Il est plaisant de voir comme en ces questions restées ardentes et vivantes et qui divisent aujourd’hui si profondément les esprits, tous les partis se disputent les textes de la Révolution et ses déclarations de principe ; mais il est plaisant surtout de voir comme en citant les textes, les déclarations, ou même les décrets et articles de loi, les polémistes font abstraction des circonstances historiques, des réalités politiques et sociales qui donnent à la législation son vrai sens. Ainsi, quand les tenants de l’Église invoquent Talleyrand, Condorcet, pour combattre aujourd’hui l’idée d’un enseignement tout national, ils oublient ou ils affectent d’oublier deux choses : c’est d’abord que la Révolution avait dissous toute corporation et toute congrégation, interdit les vœux monastiques ; elle ne pouvait donc pas redouter un enseignement congréganiste, un État enseignant dans l’État enseignant, une contre-révolution enseignante dans la Révolution dupée ; c’est, en second lieu, que le clergé était soumis à la Constitution civile. Les prêtres, les évêques étaient des fonctionnaires électifs, nommés par le peuple dans les mêmes conditions que les administrateurs des districts ou des départements. Ceux-là, fonctionnaires de la Révolution et obligés de se réfugier en elle contre le fanatisme dévot provoqué par les prêtres réfractaires, ne pouvaient songer à dresser un enseignement rival de celui de l’État ; ils ne pouvaient agir d’ailleurs qu’individuellement, car toute association permanente de prêtres aurait été suspecte de rétablir les corporations abolies. Donc, lorsqu’en 1791 et 1792, la Révolution accordait la liberté d’enseignement, elle ne l’accordait pas à l’Église, elle l’accordait seulement à