Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/394

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consacré des erreurs. S’il fallait prouver par des exemples le danger de soumettre l’enseignement à l’autorité, nous citerions l’exemple de ces peuples, nos maîtres dans toutes les sciences, de ces Indiens, de ces Égyptiens, dont les antiques connaissances nous étonnent encore, chez qui l’esprit humain fit tant de progrès, dans des temps dont nous ne pouvons même fixer l’époque, et qui retombèrent dans l’abrutissement de la plus honteuse ignorance, au moment où la puissance religieuse s’empara du droit d’instruire les hommes. Nous citerions la Chine qui nous a prévenus dans les sciences et dans les arts, et chez qui le gouvernement en a subitement arrêté le progrès depuis des milliers d’années, en faisant de l’instruction publique une partie de ses fonctions. Nous citerions cette décadence où tombèrent tout à coup la raison et le génie chez les Romains et chez les Grecs, après s’être élevés au plus haut degré de gloire, lorsque l’enseignement passa des mains des philosophes à celles des prêtres. Craignons, d’après ces exemples, tout ce qui peut entraver la marche libre de l’esprit humain. À quelque point qu’il soit parvenu, si un pouvoir quelconque en suspend le progrès, rien ne peut garantir même du retour des plus grossières erreurs ; il ne peut s’arrêter sans retourner en arrière, et du moment où on lui marque des objets qu’il ne pourra examiner ni juger, ce premier terme mis à sa liberté doit faire craindre que bientôt il n’en reste plus à sa servitude. » (Applaudissements.)

« D’ailleurs, la Constitution française elle-même nous fait de cette indépendance un devoir rigoureux. Elle a reconnu que la Nation a le droit inaliénable et imprescriptible de réformer toutes ses lois, elle a donc voulu que dans l’instruction nationale tout fût soumis à un examen rigoureux. Elle n’a donné à aucune loi une irrévocabilité de plus de dix années ; elle a donc voulu que les principes de toutes les lois fussent discutés, que toutes les théories politiques pussent être enseignées et combattues ; qu’aucun système d’organisation sociale ne fût offert à l’enthousiasme ni aux préjugés comme l’objet d’un culte superstitieux, mais que tous fussent présentés à la raison comme des combinaisons diverses entre lesquelles elle a le droit de choisir ; et aurait-on respecté cette indépendance inaliénable du peuple si on s’était permis de fortifier quelques opinions particulières de tout le poids que peut leur donner un enseignement général ; et le pouvoir qui se serait arrogé le droit de choisir ces opinions n’aurait-il pas véritablement usurpé une partie de la souveraineté nationale ? »

C’est cet admirable esprit de liberté vivante et de perpétuelle enquête qu’il faut retenir ; il ne doit pas y avoir dans l’enseignement national une seule idée qui ne soit soumise à la critique, à l’incessante revision de l’esprit humain. Il ne doit pas y avoir une seule porte close ; mais au contraire ouverture de toute vérité et de tout esprit à la vie qui les renouvelle, à la réalité mouvante qui les transforme. Pas un seul dogme philosophique, politique, scientifique, social ; et la raison seule souveraine. Quiconque, individu,