Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/413

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étaient si nombreuses que, ne voulant ni leur opposer un refus brutal et offensant, ni les inscrire sur les registres légaux à côté des citoyens actifs, les chefs de bataillon en formaient des listes à part. Le décret du 15 juin rendu avant la fuite de Varenne à un moment où la bourgeoisie révolutionnaire dans la placidité de l’apparente victoire, ne se réservait pas aussi jalousement qu’au 21 juin la direction de la crise, permettait aux citoyens passifs de s’enrôler comme auxiliaires.

C’est en se réclamant du décret du 15 juin que les prolétaires, les ouvriers, les « compagnons » et « garçons » demandaient aux chefs de bataillon de la garde nationale, devenus les grands recruteurs, de les inscrire sinon sur le vénérable registre de la bourgeoisie, au moins dans des cahiers annexes : c’est latéralement et comme dépendance irrégulière, que s’offrait en 1791 l’héroïsme prolétarien.

Par exemple, au 7e bataillon de Saint-Étienne-du-Mont, un cahier séparé, annexé au registre, donne « les noms et qualités des personnes qui ne sont point enrôlées dans la garde nationale et qui désirent servir sur les frontières. Le registre régulier, bourgeois, contient 42 noms, des imprimeurs, des graveurs en taille douce, un chapelier, deux chirurgiens, un premier commis greffier au 3e tribunal de Paris, un maître de musique, un professeur, un clerc de procureur, un pâtissier, un marchand mercier, un « chandelier », le jeune Fondricot, âgé de 15 ans — toute une bourgeoisie d’autant plus méritante qu’elle abandonnait, pour courir à l’ennemi, un métier lucratif et une vie stable. — Elle était soulevée par la passion révolutionnaire, par l’amour saint de la liberté, peut-être aussi par un élan d’aventure et d’action qui tout à coup faisait éclater l’étroite boutique, tomber les murs familiers de l’atelier paternel.

Et voici le cahier prolétarien qui contient, lui, 209 noms, tout un remuement de pauvreté vaillante et hardie qui saute par-dessus les dédains et la défiance de la Révolution légale pour aller la défendre aussi, et, en la défendant, l’agrandir, lui mettre au cœur un plus large rêve. Comment les citer tous ? Morel, commis aux fermes ; Potey, commis aux fermes ; Evrard, garçon artificier ; Le Roy, garçon cordonnier ; Detapes, garçon cordonnier ; Vedy, garçon cordonnier ; Marie, garçon cordonnier ; Serrat, commis négociant ; Mercier, garçon serrurier ; Brémond, imprimeur ; Bougrand, journalier ; Armand, charpentier ; Nourrisson. éperonnier ; Chanson, serrurier ; Agoutin, chapelier ; Clément, coupeur de poil pour les chapeliers ; Peschet, gagne-denier ; Bocot, fondeur en caractères ; Pelletier, fondeur en caractères ; Gaillier, fondeur en caractères ; Védy, garçon cordonnier ; Ponsot, cordonnier ; Corroy, relieur ; Chelur, toiseur de bâtiments ; Bachelet, garçon cordonnier ; Amiard, écrivain ; Boulanger, marchand d’habits ; Guesdon, brocanteur ; Jarry, perruquier ; Millevache, ferblantier ; Chiret, cordonnier ; Banière, marchand de papier ; Camus, tailleur de pierres ; Pillon, galon-