Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/449

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Sont-ils donc si infaillibles dans leurs jugements et si sages dans leurs projets, qu’il ne nous soit pas permis d’examiner, s’il n’y a pas d’autres remèdes à nos maux que le bouleversement de l’Empire ? Sommes-nous donc arrivés au moment où une faction ne dissimule plus le dessein de renverser la Constitution ? Déjà on a proposé sérieusement que l’assemblée nationale s’érigeât en assemblée constituante.

« Un député (M. Lasource) nous a fait publiquement la confidence qu’on lui avait proposé de se coaliser avec une partie de l’Assemblée nationale, pour exécuter ce projet. Déjà, on répète, avec les ennemis de la Révolution, que la Constitution ne peut exister, pour se dispenser de la soutenir. Mais les auteurs de ce système ont-ils fait tout ce qui dépendait d’eux pour la maintenir ?… L’Assemblée nationale, disent-ils, n’a pas les moyens nécessaires pour la défendre. Je soutiens que l’Assemblée nationale a une puissance infinie, que la volonté générale, la force invincible de l’esprit public, qu’elle laisse tomber et relève à son gré, aplanira devant elle tous les obstacles toutes les fois qu’elle voudra déployer toute l’énergie et toute la sagesse dont elle est susceptible.

« C’est en vain que l’on veut séduire les esprits ardents et peu éclairés par l’appât d’un gouvernement plus libre et par le nom de république ; le renversement de la Constitution dans ce moment ne peut qu’allumer la guerre civile, qui conduira à l’anarchie et au despotisme. Quoi ! c’est pendant la guerre, c’est au milieu de tant de divisions fatales, que l’on veut nous laisser tout à coup sans Constitution, sans loi ! Notre loi sera donc la volonté arbitraire d’un petit nombre d’hommes. Quel sera le point de ralliement des bons citoyens ? Quelle sera la règle des opinions ? Quelle sera la puissance de l’Assemblée législative ? En voulant saisir celle qu’elle n’a point, elle perdra celle dont elle est investie ; on l’accusera d’avoir trahi le serment qu’elle a fait de maintenir la Constitution ; on l’accusera d’accaparer les droits de la souveraineté ; elle sera la proie et l’instrument de toutes les factions. Elle ne délibérera plus qu’au milieu des baïonnettes ; elle ne fera que sanctionner la volonté des généraux et d’un dictateur militaire. Nous verrons renouveler, au milieu de nous, les horribles scènes que présente l’histoire des nations les plus malheureuses…

« Après avoir été l’espérance et l’admiration de l’Europe, nous en serons la honte et le désespoir. Nous n’aurons plus le même roi, mais nous aurons mille tyrans ; vous aurez, tout au plus, un gouvernement aristocratique, acheté au prix des plus grands désastres et du plus pur sang des Français. Voilà le but de toutes ces intrigues qui nous agitent depuis si longtemps ! Pour moi, voué à la haine de toutes les factions que j’ai combattues, voué à la vengeance de la Cour, à celle de tous les hypocrites amis de la liberté, étranger à tous les partis, je viens prendre acte solennellement de ma constance à repousser tous les systèmes désastreux et toutes les manœuvres cou-