Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/451

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Les Lameth finirent cependant par décider quelques doublures : Chambonas eut les affaires étrangères, Lajard, la guerre ; Terrier de Monciel, président du département du Jura, eut l’intérieur. Girondins et robespierristes étaient brusquement rapprochés par l’avènement de leurs ennemis communs. Mais c’est surtout l’intervention menaçante, arrogante, du chef des feuillants, de Lafayette, qui un moment refit entre la Gironde et Robespierre un semblant d’union. Après la chute de la Gironde, Lafayette crut qu’une action décisive des modérés arrêterait ou même refoulerait le mouvement révolutionnaire. Du camp de Maubeuge où il commandait en chef l’armée du centre il écrivit à l’Assemblée une lettre datée du 16 juin, et qui fut lue à la Législative par son président à la séance du 18.

C’est le manifeste du modérantisme agressif. C’est l’annonce d’une sorte de coup d’État modéré contre toutes les forces populaires et ardemment révolutionnaires. La popularité de Lafayette, surtout depuis la journée du Champ-de-Mars, était atteinte profondément, et il souffrait dans son orgueil et sa vanité. Peut-être aussi, par une sorte de point d’honneur médiocre et de fausse chevalerie voulait-il, après avoir contribué à limiter le pouvoir royal, maintenir ce qui en subsistait contre toute agression nouvelle. Chef de la bourgeoisie modérée, des classes moyennes, il lui semblait que la Révolution ne devait pas dépasser ce point d’équilibre. Et comme s’il n’avait affaire qu’à une tourbe impuissante et méprisée, forte seulement de la timidité des sages, il crut pouvoir parler de très haut.

S’il avait réussi, s’il avait entraîné la France dans les voies du modérantisme exclusif et agressif, la Révolution, destituée de ses forces vives, n’aurait pas tardé à tomber aux mains des réacteurs. Donc, dans un silence émouvant, silence de haine ou silence d’admiration effrayée, la lettre de Lafayette fut entendue par la Législative.

« Messieurs, au moment trop différé peut-être où j’allais appeler votre attention sur de grands intérêts publics, et désigner parmi nos dangers la conduite d’un ministère que ma correspondance accusait depuis longtemps, j’apprends que, démasqué par ses divisions, il a succombé sous ses propres intrigues ; car sans doute, ce n’est pas en sacrifiant trois collègues, asservis par leur insignifiance en son pouvoir, que le moins excusable, le plus noté de ces ministres (Dumouriez) aura cimenté dans le Conseil du roi son équivoque et scandaleuse existence.

« Ce n’est pas assez néanmoins que cette branche du gouvernement soit délivrée d’une funeste influence. La chose publique est en péril ; le sort de la France repose principalement sur ses représentants ; la nation attend d’eux son salut, mais en se donnant une Constitution, elle leur a prescrit l’unique route par laquelle ils peuvent la sauver.

« Persuadé, Messieurs, qu’ainsi que les Droits de l’homme sont la loi de toute Assemblée constituante, une Constitution devient la loi des législateurs