Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/454

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existe des conspirateurs, qu’ils périssent, mais seulement sous le glaive de la loi.

« Enfin, que le règne des clubs, anéanti par vous, fasse place au règne de la loi ; leurs usurpations, à l’exercice ferme et indépendant des autorités constituées ; leurs maximes désorganisatrices, aux vrais principes de la liberté ; leur fureur délirante, au courage calme et constant d’une nation qui connaît ses droits et les défend ; enfin, leurs combinaisons sectaires, aux véritables intérêts de la patrie… »

Voilà le programme que, sous le nom modeste et légal de pétition, mais du camp de Maubeuge et avec son autorité de commandant d’armée, Lafayette, défenseur factieux de la Constitution, dictait à l’Assemblée. Il peut se résumer ainsi : retrait de tous les décrets contre les émigrés et les prêtres insermentés ; libre exercice du veto royal ; poursuites rigoureuses contre tous attroupements ; dissolution, des clubs, mise en accusation de Dumouriez.

Dans l’état de la France, c’était un signal de contre-révolution. Et que de misérables équivoques ! que de criminels oublis ! Lafayette demandait le respect de la Constitution. Mais lorsque le veto paralysait les lois de défense de la Révolution, le veto, quoique formellement constitutionnel, n’était-il pas la violation de la Constitution ? Lafayette dénonçait les Girondins comme adversaires des lois constitutionnelles ; il affecte de ne pas voir ou de noter à peine le soulèvement des prêtres factieux, l’immense conspiration royaliste. Il veut qu’on « révère » le roi, et à ce moment même le roi entretient une correspondance de trahison avec ces souverains étrangers que Lafayette a mission de combattre. De cette trahison on n’avait pas la preuve matérielle ; mais si Lafayette n’avait pas été aveuglé par sa vanité et son ambition, s’il n’avait pas concentré sur les démocrates toutes ses méfiances et toutes ses haines, il aurait bien reconnu la main du roi et l’intrigue de la Cour dans l’immense complot intérieur et extérieur dont la Révolution était enveloppée.

La Gironde fut un instant comme stupéfaite par ce coup d’audace. Elle ne s’opposa même pas à l’impression de la lettre de Lafayette, mais quand le centre et la droite proposèrent de l’envoyer aux 83 départements et aux armées, Vergniaud se leva. Il protesta au nom de la liberté. Il rappela, sous les murmures d’une grande partie de l’Assemblée, que toute pétition d’un citoyen devait être accueillie, mais que, lorsque ce citoyen était commandant d’armée, sa pétition devait passer par la voie du ministère. Adressée directement à l’Assemblée elle devenait une sommation « et c’en était fait de la liberté ».

L’Assemblée parut se ressaisir. Guadet gagna du temps en alléguant que la lettre ne pouvait être de Lafayette, puisqu’elle parlait de la démission de Dumouriez, qu’à cette date Lafayette ne pouvait connaître. C’était faux : car Lafayette ne parlait que comme d’une probabilité prochaine, de la démission de Dumouriez.