Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/458

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la passion, que la grande vie révolutionnaire s’exaltait. Surtout dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel le peuple était prêt à l’action décisive.

Il faudrait pouvoir suivre, jour pour jour (mais les procès-verbaux ou manquent ou sont trop incomplets) la vie de chaque section, surprendre, pour ainsi dire, l’éclosion et surveiller la croissance des pensées révolutionnaires. Le brasseur Santerre et Alexandre, qui commandaient les bataillons des Enfants-Trouvés et de Saint-Marcel, avaient beaucoup d’action ; Fournier, qui avait vainement tenté fortune à Saint-Domingue et qui était revenu en France le cœur ardent et aigri, l’ouvrier orfèvre Rossignol, le patron boucher Legendre, le marquis de Saint-Huruge, mêlé dès les premiers jours de la Révolution aux agitations du Palais-Royal, le polonais Lazowsky, commandant une compagnie de canonniers, semblaient diriger le mouvement. Mais que de forces inconnues fermentaient !

C’est chez Santerre ou dans la salle du Comité de la Section des Quinze-Vingts que se réunissaient les chefs. Mais ils n’avaient point des allures de conspirateurs. Il n’y avait rien de secret dans leurs démarches. Ils savaient bien qu’ils ne feraient rien sans l’énergie populaire et que celle-ci devait être tenue en éveil par une action ouverte, publique, audacieuse. Danton se réservait, à cause de son caractère officiel. Mais on savait bien qu’il n’était pas homme à se cacher, et que sa voix puissante sonnerait dans l’orage. Dès le 2 juin, plusieurs citoyens avaient demandé la permission d’organiser dans l’église des Enfants-Trouvés des réunions publiques. C’était comme une prédication permanente d’action révolutionnaire qu’ils voulaient instituer. Pétion, maire de Paris, seconda leur demande. Il écrivit le 2 juin à Rœderer : « Plusieurs citoyens du faubourg Saint-Antoine ont présenté au Conseil général de la Commune une pétition par laquelle ils demandent la permission de s’assembler, à l’issue des offices, dans l’église des Enfants-Trouvés pour s’y instruire de leurs droits et de leurs devoirs. Le Conseil a arrêté que cette pétition serait renvoyée au Directoire du Département. J’ai, en conséquence, l’honneur de vous l’adresser avec une expédition de l’arrêté qui ordonne le renvoi.

« Le Directoire ne peut manquer d’accueillir favorablement tout ce qui peut tendre à éclairer le patriotisme des citoyens et leur fait connaître les lois. Je vous serai infiniment obligé de mettre cette demande sous ses yeux et de le prier, au nom de la Municipalité, qui m’en a chargé, de prendre cette démarche dans la plus haute et la plus prompte considération. »

Le Directoire du Département, malgré ses attaches au parti feuillant, n’osa pas refuser. Mais le renvoi des ministres girondins donna au peuple l’élan décisif. Puisque le roi chassait les ministres qui lui demandaient de sanctionner des décrets nécessaires, des lois de salut révolutionnaire, puisque l’Assemblée hésitante semblait impuissante à imposer la sanction, il fallait