Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/464

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La foule, malgré ces vifs propos, n’était pas menaçante. Je ne sais quelle survivance de respect était encore en elle ; elle n’avait pas renoncé tout à fait à l’espoir de ramener enfin par la peur le roi à la Constitution. D’ailleurs, le calme de Louis XVI, le courage tranquille qu’en cette minute de crise il opposa aux colères qui l’enveloppaient, firent tomber les paroles outrageantes, et ce fut bientôt comme une prière puissante, parfois tendre, le plus souvent méfiante et altière, qui de ce peuple alla vers lui. Louis XVI, presque acculé dans l’embrasure de la fenêtre, prit des mains d’un garde national un bonnet rouge : il s’en coiffa. Il prit aussi des mains d’une femme une épée fleurie et il l’agita. Il y eut une acclamation formidable : « Vive la Nation ! » Cette épée fleurie, c’était le symbole de la Révolution vaillante et tendre qui, tout en combattant, voulait aimer. Ah ! que de fleurs de tendresse auraient fleuri l’épée royale si elle avait voulu être l’épée de la Révolution ! Mais tout cela était mensonge.

On dirait pourtant que le roi, voué à la trahison, s’essayait parfois à une sorte de rôle populaire, comme pour se tromper lui-même en trompant les autres. Il mettait le pied, si je puis dire, sur l’autre route que lui offrait le destin. Mais non : c’est dans le chemin de perdition, d’hypocrisie, de ténèbres et de mort qu’il était irrévocablement engagé. L’Assemblée apprit avec émoi que le roi était entouré d’un peuple menaçant. Elle envoya en hâte une députation. Isnard, Vergniaud s’ouvrirent péniblement un chemin à travers la foule. Pétion arriva après eux. Il adjura le peuple de défiler tranquillement à travers le château. Les objurgations à Louis XVI redoublent : « Reprenez les ministres patriotes, ou vous périrez. » Louis XVI se borne à répondre qu’il sera fidèle à la Constitution ; et épuisé de soif en cette journée chaude, il boit à la bouteille que lui tend un grenadier. Peu à peu le peuple s’écoule, avec un dernier grondement de menace.

La vie du roi était sauve ; mais une sorte de duel personnel, de duel à mort était engagé entre la Révolution et la royauté. La journée du 20 juin avait été incertaine. La guerre extérieure n’était encore que languissamment engagée. L’armée du Rhin n’avait pas d’ennemi devant elle. L’armée du Centre, qui s’appuyait au camp de Maubeuge avec Lafayette, était à peu près immobile et ne livrait guère que des escarmouches. L’armée du Nord, avec Luckner, pénétrait sans difficulté en Belgique et occupait Ypres et Menin. L’étranger n’avait pas encore sérieusement commencé la lutte, et c’est à peine si la France avait le sentiment que la guerre était déclarée. Ce n’est donc pas la surexcitation du sentiment national qui a soulevé le peuple au 20 juin : c’est l’esprit révolutionnaire, et comme il n’était pas aiguillonné et exaspéré par le péril extérieur, il n’est pas allé d’emblée jusqu’au bout, jusqu’au renversement de la royauté. Mais il est visible que nous touchons au combat suprême de la Révolution et du roi.

Sur la journée du 20 juin, Robespierre garde, dans le Défenseur de la