Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/566

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risquaient à de dangereuses combinaisons diplomatiques et gouvernaient la politique secrète des Feuillants comme s’ils avaient été, à la Législative, les chefs visibles de leur parti. Non, l’incertitude, l’incohérence de la Législative vinrent de ceci : les classes dirigeantes de la Révolution étaient encore monarchiques, et le monarque s’obstinait à trahir la Révolution. La fonction historique de la Législative fut de mettre fin à cette scandaleuse et mortelle contradiction. La tâche était malaisée, car la trahison du roi était secrète : il affectait le respect de la Constitution, tout en la paralysant, et ses négociations occultes avec l’étranger étaient couvertes par le mensonge continu de ses déclarations patriotiques.

J’ai été très sévère pour ceux qui, dans leur impatience, dans leur vanité, ne trouvèrent d’autre moyen que la guerre extérieure pour faire éclater la trahison royale. Je ne le regrette point : car il n’est pas démontré qu’une politique avisée, ferme et patiente, n’aurait pu obliger le roi à se découvrir sans que l’effroyable péril de la guerre fût déchaîné.

Il est bien vrai que les despotes étrangers se seraient coalisés tôt ou tard contre la Révolution dont le lumineux exemple aurait partout menacé la tyrannie. Mais il y avait un intérêt de premier ordre à ne point provoquer cette coalition, à ne point l’animer. Qui sait si l’attitude de l’Angleterre n’eût pas été autre en 1793 sans les imprudences commises par la Gironde en 1792 ? Mais il faut se hâter de dire que l’impatience des Girondins et aussi leur illusion s’expliquent et s’excusent par bien des raisons. Sentir la trahison sourde du roi glissée peu à peu comme un poison aux veines du pays, et ne pouvoir ni la dénoncer, ni l’éliminer, ni la châtier, est un supplice intolérable.

Comme le préparateur d’anatomie injecte des substances dans l’organisme dont il veut faire apparaître les lignes cachées, comme le chimiste explore, par des réactifs, une matière inconnue et suspecte, les Girondins injectèrent la guerre à la Révolution pour faire apparaître le poison caché des trahisons royales. Brissot n’a pas craint de le dire et de le répéter, et une fois encore, au 20 septembre 1792, quand il fera comme une revue d’ensemble de l’œuvre de la Législative, il dira avec une force singulière :

« Pour convaincre tous les Français de la perfidie de la Cour, il fallait la mettre à une grande épreuve, et cette épreuve était la guerre contre la maison d’Autriche ; on n’a sauvé la France, comme nous l’avons dit, qu’en lui inoculant la trahison. Sans la guerre, ni Lafayette, ni Louis n’auraient été pleinement démasqués ; sans la guerre la révolution du 10 août n’aurait pas eu lieu ; sans la guerre, la France ne serait pas république ; il est même douteux qu’elle l’eût été de vingt ans.

Inoculation terrible. Formidable expérience, et qui laissera toujours en suspens le jugement des hommes. La Gironde se trompa en partie sur les dispositions des peuples : elle les crut plus favorables à la Révolution française qu’ils ne l’étaient ; mais comme cette erreur était naturelle ! Quoi ! la France