Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/99

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la guerre donnerait un nouvel élan à la Révolution. Si, au contraire, le roi refusait sa sanction aux décrets, il devenait évident à tous que seule une grande crise, à la fois extérieure et intérieure, pourrait remettre en mouvement la Révolution. Enfin, la vanité même des lois promulguées contre les émigrants qui étaient hors d’atteinte, suggérerait naturellement au pays l’idée d’une action plus décisive. Brissot pouvait attendre avec confiance les événements. Son plan commençait à se développer dans les faits.

En quelques démocrates, pourtant, la défiance s’éveille. Robespierre est encore absent de Paris, il prend à Arras quelques semaines de repos et, sans doute, il commence à s’inquiéter, puisque quinze jours après il rentre. Le journal de Prudhomme exprime de vagues inquiétudes ; il ne paraît pas se douter encore que la marche adoptée conduit à la guerre. Mais il se demande si on ne trompe pas la nation :

« Ce que tout le monde se demande et ce que personne ne sait, ce sont les suites qu’aura le décret. D’abord il paraît bien singulier que le projet en ait été présenté par M. Ducastel, qui avait annoncé des vues toutes contraires dans le courant de la discussion, et plus étonnant encore que ce même décret n’ait pas essuyé d’opposition marquée de la part des ministériels… Le serpent est sous l’herbe. Prenons bien garde que ce ne soit un piège ou tout au moins un jeu. Il ne suffit pas que l’Assemblée nationale ait prononcé, il faut que le roi sanctionne, et sanctionnera-t-il ? Signera-t-il l’arrêt de mort de ses frères ? S’il ne le fait pas, quel parti prendre ? S’il le fait, comment croire à sa bonne foi ? Et supposé que le roi ait sanctionné, supposé qu’il ne contrarie pas l’exécution du décret, les émigrants attroupés se diviseront-ils ? Rentreront-ils en France ? Auront-ils le courage d’être repentants ? Tous les indices tendent à faire croire que non ; ces misérables se laisseront aller à un faux sentiment de gloire ; ils ne se sépareront pas ; ils attaqueront leur patrie ; s’il en est ainsi, plus de pitié, que la loi soit inflexible pour les condamnations judiciaires, comme le sera l’épée des braves gardes nationales des frontières ; il faut que les conjurés trouvent la mort civile au dedans ; il faut qu’ils tombent sous le fer des tyrannicides au dehors ; mais que l’Assemblée nationale prenne garde aux ministres, qu’elle prenne garde au roi ; qu’elle prenne garde à tout ce qui approche de lui ; si elle n’avait rendu le décret que pour tromper le peuple, si elle n’en surveille exactement l’exécution… la hache est levée, il faut qu’elle frappe de grands coups. »

Il n’y a évidemment, dans l’esprit des révolutionnaires du journal de Prudhomme que perplexité et obscurité. Ils n’avertissent pas le peuple qu’il ne faut pas grossir artificiellement la question des émigrés, car, ainsi exagérée, elle n’aura d’autre solution que la guerre. Ils font de grands gestes de menace et servent, sans s’en douter, la politique belliqueuse de la Gironde. Marat aussi tâtonne encore. Il paraît croire à une agression imminente des puissances étrangères, et il écrit le 4 novembre :