Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/154

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dance, ni imprimeurs, ni papier, ni journal, ni journalistes, ni aucune sentinelle morale et physique. Croupir dans la barbarie sur le fumier d’un misérable arpent tantôt grêlé ou noyé, serait le sort des citoyens français. Le plus mince journalier préférera son salaire quotidien à la chance du meilleur lot agraire, d’autant plus que le prix de la main-d’œuvre s’améliore sous le régime de la liberté.

« Il ne faut pas une grande perspicacité pour prévoir les suites déplorables de la violation du tien et du mien. Aussi le moindre ouvrier d’une manufacture immense repousserait-il l’hypocrite qui lui dirait de partager les magasins et les capitaux d’un fabricant dont les relations lointaines procurent de l’ouvrage à douze cents familles laborieuses.

« Le plus borné des artisans est convaincu que la dépouille du célèbre Decretot ferait mourir d’inanition trois ou quatre mille citoyens. Que ceux qui veulent faire passer une motion incendiaire se retirent loin d’une société policée ; car ils se feraient assommer par tous les habitants de la ville et par tous les propriétaires et fermiers de la campagne dont l’aisance se fonde sur le débouché des villes populeuses et commerçantes. Les bons esprits, les hommes droits, les vrais amis du genre humain, doivent s’empresser à tranquilliser le monde sur les projets impuissants d’une clique abominable.

« Il en est du partage des terres comme du partage des rivières ; nous perdrions tous les profits de la pêche, de la navigation et du commerce avec des filets d’eau. L’excès de la saignée tue l’homme le plus robuste. Et de quoi se plaignent les perturbateurs ? Le nouveau régime ne tend-il pas à morceler les fortunes colossales par des moyens doux et tutélaires ? Les substitutions, les droits d’aînesse et de masculinité sont abolis, ainsi que les maîtrises, les privilèges, les barrières seigneuriales et fiscales.

« On ne s’enrichira plus à la cour, à l’église, à la maltôte ; le brigandage des agioteurs n’accumulera plus des monceaux d’or dans un cercle de financiers. Nous mépriserons les Gracchus modernes, nous imiterons l’ancien Gracchus, en distribuant les communaux à un million de pauvres, en distribuant de vastes terrains qui attendent des bras en Corse, à Madagascar et dans la Guyane.

« Une émulation créatrice multipliera les branches de l’industrie maritime et continentale : la prospérité publique augmentera par une circulation plus rapide et plus abondante de toutes les productions de la terre et de la mer.

« Rassurez-vous donc, propriétaires pusillanimes, pesez mes paroles. J’aurais désiré que les commissaires de l’Assemblée nationale eussent fait une réponse péremptoire aux administrateurs de Reims, qui, en souscrivant au serment de l’égalité, témoignèrent de vives inquiétudes pour leurs possessions légitimes. Il faut montrer aux peureux que la majorité soi-disant pauvre est éminemment intéressée à la sauvegarde de la minorité soi-disant