Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/16

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patriotes et si le peuple les surveille avec sollicitude, je regarderai le salut public comme assuré, je dormirai sur les deux oreilles et je ne reprendrai la plume que pour travailler à la refonte de la Constitution. Et de fait, quelle autre tâche me resterait à remplir ? Je faisais la guerre aux mandataires infidèles du peuple, aux traîtres à la pairie, aux fonctionnaires prévaricateurs, aux machinateurs, aux fripons de tous les genres ; mais les scélérats se cachent pour ne plus se montrer, ou pour se montrer citoyens paisibles et soumis aux lois. C’est tout ce que je pouvais désirer.

« Et puis, ne viens-je pas de voir l’accomplissement de mes prédictions que l’événement n’avait pas encore justifiées ? J’ai prédit à Mottié qu’il serait la fable des nations et la bête noire du peuple quand mon flacon d’encre serait usé ; le voilà à sa fin.

« J’ai prédit à Bailly qu’il serait pendu : on vient d’en pendre le buste avec celui du sieur Moitié ; si on n’a pas trouvé l’original pour le mettre à la place du portrait, ce n’est pas ma faute ; il n’avait qu’à paraître en public, son affaire était faite.

« J’ai prédit il y a un an que la race des Capets serait détrônée : la voilà bien près d’en descendre. »

C’est le cri de triomphe et de définitive victoire ; mais soudain voici de nouveau le cri d’alarme : « Au reste, tremblons de nous endormir, soyons sûrs que les contre-révolutionnaires se rassemblent. Craignons que Mottié ne ramène son armée contre nous ; craignons que tous les régiments allemands et suisses royalistes ne nous viennent bloquer. Déjà les hauteurs adjacentes devraient être occupées par la garde parisienne. Déjà les municipalités du royaume devraient avoir reçu l’ordre d’expédier des courriers sur tous les mouvements de troupes qui pourraient s’approcher de la capitale. Déjà tous les corps administratifs prostitués à la Cour auraient dû être destitués. Déjà les six ministres devraient être aux fers. Déjà les membres contre-révolutionnaires de l’Assemblée, les Lameth, Dumas, Vaublanc, Pastoret, Dubayet, devraient être arrêtés. Espérons que nos commissaires parisiens ne s’endormiront pas. »

Ainsi Marat, si abattu quelques jours avant le Dix Août qu’il voulait fuir comme on quitte une partie perdue, a maintenant pleine confiance. Pour la première fois peut-être depuis le commencement de la Révolution il écrit d’hommes investis d’un mandat public : « Ils marchent à merveille. » Et il s’imagine, avec un naïf orgueil, qu’ils ne font qu’appliquer les plans qu’il a conçus. Il oublie qu’entre les exécutions à froid qu’il a souvent et systématiquement proposées et l’effervescence du Dix Août il n’y a aucun rapport. Mais il est vrai que son influence sur la Commune révolutionnaire est grande. Celle-ci a la vigueur, la décision, la rapidité d’action que Marat n’attendait plus des pouvoirs populaires trop dispersés et tiraillés.

D’abord la Commune se défend contre toute restriction légale. L’Assem-