Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/184

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agraire. C’est à Momoro qu’il répond de façon directe lorsqu’il affirme que toutes les propriétés, territoriales aussi bien qu’industrielles, doivent être éternellement sauvegardées. Il enlevait donc ainsi à la Gironde toute raison de craindre, tout prétexte de dénoncer à la France effrayée les agitateurs et les « anarchistes » de Paris. Et cet appel indirect mais pressant à la Gironde, Danton le lui adressait sans blesser personne ; il qualifiait simplement les motions téméraires d’exagération du patriotisme.

La Convention, à l’unanimité absolue, ratifia les propositions de Danton. « La Convention nationale déclare : 1o Qu’il ne peut y avoir de Constitution que celle qui est acceptée par le peuple ; 2o Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde de la nation. »

Ici, il y a des socialistes qui s’écrient : Voilà bien le caractère bourgeois de la Révolution ! Voilà bien son esprit de classe ! À peine est-elle réunie en pleine tourmente intérieure et extérieure, à quoi pense-t-elle ? À quoi pense Danton, son inspirateur le plus véhément ? À défendre la propriété, à la proclamer éternelle. Avant même d’abolir la royauté, avant même d’appeler tous les citoyens contre l’envahisseur, qui n’a pas encore commencé son mouvement de retraite, c’est la bourgeoisie possédante que l’on rassure : c’est la sacro-sainte propriété qu’on élève au-dessus des murmures du peuple affamé, au-dessus des vicissitudes de l’histoire, au-dessus des temps et des flots. C’est là le premier acte, la première partie de la Convention ; c’est le fond de son urne qui se découvre dès le premier jour. Grands bourgeois peut-être, mais bourgeois.

Mais qui donc a soutenu le contraire ? Quel est le socialiste, s’il est fidèle à la méthode historique, qui reprochera à la Convention de n’avoir pas proclamé l’idéal communiste et prolétarien, avant que les conditions économiques et intellectuelles en fussent réalisées ? Qui lui reprochera de n’avoir pas égaré la Convention à la suite des pensées si incertaines et même si rétrogrades de Momoro ?

Le devoir des conventionnels était de défendre, de sauver la société nouvelle qui s’affirmait par la Révolution : ce n’était pas d’anticiper sur une Révolution nouvelle dont nul à cette heure n’avait la formule, et qu’aucune classe n’était prête à porter. À cette date, toute menace à la propriété était réactionnaire : elle ne pouvait que servir les ennemis de la Révolution, sans ouvrir un ordre nouveau. Il ne s’agissait point d’une transformation communiste de la propriété, mais de je ne sais quel partage incohérent ou quel pillage anarchique et grossier.

Non, la Convention, en mettant la propriété sous la protection de la nation, ne faisait point acte d’égoïsme bourgeois. Une classe n’est égoïste que lorsqu’elle s’oppose, dans son intérêt étroit, à l’avènement d’une forme sociale nouvelle, préparée par le mouvement des choses et par le travail des esprits. Mais quand, en dehors des formes de propriétés constituées et qui se dégagent