Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/226

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le policier volontaire Lallégant-Morillon avait révélé une conspiration assez redoutable qui avait des agents à Apt, à Forcalquier, Carpentras, Manosque, Mane, Gorde, Sisteron, Pertuis, La Tour, Digne, Roussillon, Sérès, Saint-Martin, La Bastide-des-Jourdans, Belmont, Vacqueras, Simiane, Banon, Viens, Lauris. Morillon, en simulant un grand zèle contre-révolutionnaire, surprit la confiance d’un des conjurés qui lui révéla, avec le nom des principaux conspirateurs, le plan de l’opération. Ils avaient mandat des princes émigrés, et se préparaient à reprendre, avec plus de prudence, l’opération que du Saillant avait compromise par son impatience au camp de Jalès. Le complot fut, cette fois encore, déjoué. Mais il était évident que, sous terre, les racines de contre-révolution subsistaient. De même, en Vendée, la résistance aux décrets qui atteignaient les prêtres réfractaires s’aggravait chaque jour.

Et en Bretagne, une vaste conspiration s’ourdissait, sous la main d’un aventurier audacieux, Tuffin de la Rouerie, qui avait en Ille-et-Vilaine le centre de ses opérations. Depuis juin 1792, et avec une commission spéciale datée de Coblentz, il s’employait à grouper les forces contre-révolutionnaires de l’Ouest breton. Son plan était de marcher sur Paris au moment où les armées étrangères passeraient la frontière. Il ne voulait point se borner à la résistance sur place qu’organisèrent bientôt la Vendée et la chouannerie. Il voulait prendre l’offensive et serrer la capitale entre deux feux, le feu de l’invasion prussienne, le feu de la contre-révolution bretonne. Mais en cette tactique audacieuse, ses comités, surtout celui de Saint-Malo, refusèrent de le suivre ; et le Dix-Août éclata avant qu’il eût pu agir. Il renonça dès lors à la marche sur Paris, et ne songea plus qu’à organiser une sorte de vaste défensive, une grande guerre de partisans. Sous le nom de « Milet » et sous un déguisement, il allait de château en château, excitant partout la révolte.

Beaucoup de nobles qui avaient, avant le Dix-Août, accouru à Paris pour surveiller de plus près les événements, refluaient en ce moment vers leurs châteaux, sur le conseil des princes et aussi pour échapper aux redoutables investigations de la Commune de Paris. Les cœurs s’exaltaient dans les entretiens nocturnes ; et dans les sombres manoirs enveloppés de chênes, où si souvent le pesant ennui avait accablé les âmes, les femmes et les jeunes filles frissonnaient de toutes les émotions de l’espérance, du mystère et du danger.

« Quel plaisir, a raconté Mlle de Langan, qui sortait à peine de l’enfance en ces jours tragiques, quel plaisir de prendre part à une aventure si romanesque et d’être initiée à un pareil secret ! Aussi je me souviens combien j’étais fière et combien je prenais de précautions inutiles pour me donner un air d’importance… On logea M. de la Rouerie dans la grande chambre près le salon, dont la porte resta fermée, de manière à ce que ce côté-là de la maison lui était consacré et semblait inhabité, car on n’ouvrait jamais les jalousies. Deux jours après, nous déjeunâmes avec MM. Tuffin (neveu du marquis) et Chafner, qui, après avoir passé deux jours à Villiers, se rendirent chez Mme de