Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/261

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se réduirait à la religion naturelle. La divinité du Christ avait pendant dix-huit siècles dominé les consciences ; c’est à cette forme de Dieu, vivante, humaine, historique, bien plus qu’à l’idée abstraite, immobile et pâle de l’Être universel, que le cœur des foules souffrantes s’était donné ; et bientôt, au moindre mouvement de réaction, à la moindre déception du peuple, c’est le christianisme entier, exigeant, qui reparaîtrait sous le déisme superficiel. Robespierre n’arrachait point la racine profonde ; soudain la puissance autoritaire de l’Église se développerait à nouveau de cette racine cachée.

Enfin, il était à craindre que Robespierre lui-même, après avoir fait de certains dogmes de la religion naturelle, à peu près confondus avec la forme épurée du dogme chrétien, la condition même de la moralité et de la vertu, ne fût tenté de mettre la force de l’État au service de ce compromis christiano-philosophique, et que par des voies équivoques la France fût ramenée à l’antique intolérance.

Oui, voilà les graves périls de la conception de Robespierre, mais ils ne sauraient nous en faire méconnaître la grandeur. Et, en tout cas. M. Robinet se trompe quand il dit que c’est sous l’influence des vues particulières de Robespierre que la Révolution à ce moment se prononça contre la séparation de l’Église et de l’État. Ce ne sont pas « les dévots de la rue Saint-Honoré », comme M. Robinet appelle les Jacobins, qui dans une pensée de déisme pieux maintinrent le budget des cultes. Tous les hommes, tous les partis de la Révolution étaient d’accord ; le cordelier Danton parla plus vigoureusement peut-être contre le projet de Cambon que le jacobin Robespierre. Et Quinet aussi cède à l’esprit de système lorsqu’il fait porter à Robespierre surtout la responsabilité d’une politique où presque tous les Conventionnels, les dantonistes et les encyclopédistes comme les robespierristes, s’engagèrent à la fois.

« Une occasion se présenta, dit Quinet, de mesurer les progrès des esprits. C’était en novembre 1792, un peu avant le procès du roi. Tout le passé croulait, chacun voulait en ôter une pierre. Cambon fit dans la Convention la proposition très simple de cesser enfin de salarier le clergé. Au milieu de l’emportement des affaires et des choses, ce projet semblait ne pouvoir rencontrer d’obstacles, parmi les Montagnards. L’esprit sensé de Cambon en avait jugé ainsi. Il fut durement détrompé par les Jacobins. Basire commença la lutte en leur nom… Mais il fallait une autorité plus haute que Basire dans une question de ce genre. C’est Robespierre qui va la décider… La raison la plus importante, c’est que « le catholicisme ne peut être désormais que l’écho de la Révolution, car il n’en reste plus guère dans les esprits que ces dogmes imposants qui prêtent un appui aux idées morales, et la doctrine sublime et touchante de la vertu et de l’égalité que le fils de Marie enseigna jadis à ses concitoyens. »

« Paroles importantes qui sont devenues jusqu’à nos jours le thème et la