Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/265

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« Le Corps législatif, dit Cambon, forcé de déclarer la guerre pour la défense de la liberté, crut qu’il devait tout sacrifier pour cet objet ; il pensa qu’il était convenable de conserver toutes ses ressources pour en acquitter les frais ; en conséquence il réduisit le remboursement des dettes exigibles à 6 millions par mois, en n’y comprenant que les dettes au-dessous de 10.000 ; et il ajourna à un temps plus heureux toutes les dépenses qui n’étaient pas relatives à la guerre et à la Révolution. »

Ce n’était pas précisément la banqueroute, « la hideuse banqueroute » dont Mirabeau avait épouvanté la Constituante. Car il pouvait sembler qu’il n’y avait qu’un bref ajournement imposé par la crise extraordinaire de la patrie, et la vente décrétée des biens des émigrés promettait aux créanciers de l’État des compensations et des combinaisons fructueuses. Mais il y avait suspension de paiement, et c’est un des plus grands signes de la révolution qui s’était accomplie dans la Révolution même.

J’ai cité, quand j’analysais les causes économiques et sociales du mouvement de 1789. le mot fameux de Rivarol : « La Révolution a été faite par les rentiers ». Voici que maintenant les intérêts de la bourgeoisie rentière ont cessé de diriger, de gouverner la Révolution. Sous le coup du danger, la Révolution semble devenir son but à elle-même et son propre droit, et elle n’hésite point à sacrifier pour sa défense les intérêts mêmes dont, tout d’abord, elle procédait. Il est vrai que les rentiers étaient pris dans le mouvement révolutionnaire et qu’ils ne pouvaient plus reculer. Bien mieux, la Révolution leur disait : « Que la guerre impie entreprise contre la liberté et la patrie prenne fin ; que les contre-révolutionnaires du dehors soient écrasés comme les contre-révolutionnaires du dedans, et le paiement de la dette exigible pourra reprendre dans des proportions beaucoup plus larges. »

Mais malgré cette mainmise sur les assignats, presque tous affectés au service de la guerre, le déficit s’accroissait. Un premier rapport de Cambon, le 12 octobre, en constate l’étendue :

« Le Corps constituant crut qu’il pouvait et devait fixer les dépenses à 48.558.333 livres par mois ; il vit bientôt que les recettes ne s’élevaient pas à la même somme par les retards du recouvrement des impôts, et que de ce fait une issue restait ouverte au déficit qui allait empirer de jour en jour.

« Cette partie des non-rentrées pour le mois de septembre dernier s’élève à 16.328.211 livres. En outre, dans ce mois, nous avions 400.000 hommes ; il a fallu en lever encore 200.000 ; cet objet est monté à 121.167.791 livres. »

Ainsi, la caisse de l’extraordinaire devait être appelée, rien que pour le mois de septembre, à couvrir un déficit de cent quarante millions de livres. Et comment y pouvait-elle suffire ? Peu à peu, à mesure des besoins, le chiffre d’émission des assignats avait été forcé. Il s’était élevé graduellement