Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/299

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ment. Je m’imaginai que Louis XVI voulant faire travailler ses fonds comme un marchand, avait fait quelques spéculations sur des blés, et qu’ensuite, pour faire hausser le prix du blé, il avait soudoyé des agitateurs et des émissaires pour exciter des soulèvements et troubler la circulation des grains.

«… J’allai au lieu des séances de la Commission des Vingt-quatre pour y examiner celles des pièces qui concernaient le prétendu accaparement. Je vis dans ces pièces que Septeuil ou ses agents avaient employé des fonds de plusieurs associés à des spéculations sur des sucres et des cafés et sur des blés. Je remarquai que ces blés étaient destinés à être revendus en France et non exportés à l’étranger. Je vis ensuite, par les lettres mêmes des associés, qu’ils étaient au désespoir de ce qu’on avait employé leurs fonds à des achats de blés ; leurs lettres étaient remplies de plaintes et de reproches sur ce sujet. Les uns voulaient se retirer de la Société, les autres voulaient que l’on se défît promptement de cette marchandise.

« Et la grande raison qu’ils donnaient de leur mécontentement de cette spéculation, c’est que la récolte approchait, et qu’elle s’annonçait par une belle apparence.

« Ainsi, si Louis XVI employait la liste civile à des spéculations de marchand, on voit que, tout roi qu’il était, il se trouvait dominé par les lois de la nature et soumis à de bonnes et à de mauvaises chances comme tout autre marchand. »

Voilà bien, en sa pure forme, l’optimisme des économistes ; et l’on est presque tenté de croire, en écoutant Creuzé-Latouche, que Septeuil et Louis XVI avaient travaillé à approvisionner la France. Mais ce qui frappait le peuple, ce qui l’inquiétait, c’est que dans une période où la hausse du blé et du pain était désastreuse, le roi avait espéré et voulu la hausse du blé : et il était tout porté à croire que lorsque le roi s’engageait dans des spéculations à la hausse, il employait ensuite toute sorte de manœuvres à provoquer, en effet, la hausse.

Mais cette nervosité et cette défiance du peuple, avec le resserrement et la stagnation des grains qui en étaient la conséquence, ne suffisent point à expliquer la hausse exceptionnelle de la fin de 1792, puisque, depuis le commencement de la Révolution, le peuple avait eu à l’égard des subsistances les mêmes craintes soupçonneuses sans que pourtant le blé eût atteint le niveau où il était maintenant. Ce n’est pas non plus par la pénurie ou même la médiocrité de la récolte qu’il fallait expliquer le mouvement. La récolte était bonne. Tous les témoignages là-dessus sont concordants. L’abondance des moissons secondait la Révolution. Le Conseil exécutif provisoire, dans sa proclamation du 30 octobre, constate formellement cette abondance :

« Dans plusieurs départements de la République, les subsistances sont l’objet des inquiétudes du peuple. En vain notre sol nous fournit-il d’abondantes récoltes, des terreurs s’emparent des esprits ; les propriétaires ferment