Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’entendre Thuriot. Tandis que la Commune, cherchant sa force dans la passion de vengeance du peuple, néglige de le rappeler au devoir d’humanité, tandis que Robespierre qui sait que son intervention irrite la Gironde, se prodigue avec un orgueil amer, tandis que Brissot descend à des roueries misérables, Thuriot songe que si la Révolution se couvre de sang, les peuples ne reconnaîtront point en elle la haute figure de l’humanité. Et il crie aux partis, il crie aux individus rivaux : « Unissez-vous pour que la Révolution puisse rester humaine. » Oui, grande parole, mais qui ne fut pas entendue !

Entre la Commune et l’Assemblée le conflit s’aggravait. Les révolutionnaires parisiens qui avec le concours des fédérés concentrés à Paris, avaient sauvé la Révolution et la France, entendaient prolonger l’action révolutionnaire de la capitale, même après la réunion de la Convention. Dans un plan de Constitution soumis aux Jacobins le 17 août, la section du marché des Innocents demande que Paris ait un rôle exceptionnel. « Les décrets que la Convention rendra pour l’établissement d’une constitution et des lois permanentes… ne seront obligatoires qu’après une acceptation dans les assemblées primaires. Les décrets de simple administration n’auront pas besoin d’être acceptés. Si cependant la Convention prenait quelques mesures bien dangereuses, la Commune de Paris, plus à portée d’agir que les autres à cause de sa proximité, pourra la requérir et l’obliger de délibérer une seconde fois sur cette mesure. »

Déjà, les députés prenaient ombrage de ces paroles et commençaient à dénoncer les projets de « dictature » de Paris. Marat, de son côté, redoublait de violence. Trois jours à peine après l’article optimiste du 16 août où il disait que sous l’impulsion de la Commune tout allait au mieux, il dénonce la Législative, « les infâmes pères conscrits du manège trahissant le peuple et cherchant à faire traîner le jugement des traîtres jusqu’à l’arrivée de Mottié qui marche sur Paris avec son armée pour égorger les patriotes. » À ce moment même, Lafayette s’enfuyait, abandonné par ses soldats, et il était enfermé dans une forteresse autrichienne. Mais il était dans le tempérament de Marat d’accueillir les pires rumeurs et il était dans son dessein d’affoler et d’exaspérer.

« Français, il n’est que trop vrai que l’Assemblée nationale a recommencé le cours de ses machinations infernales et qu’elle le poursuit avec une impudeur, une effronterie, une audace, qui marquent assez le mépris qu’elle a pour vous et le dessein qu’elle a de vous remettre aux fers. Pour vous apaiser tant qu’elle a redouté votre fureur, avec quelle bassesse elle vous a flattés, caressés, enjôlés ! Alors la loi suprême de l’État était le salut du peuple. Vous étiez le seul souverain, elle se faisait gloire d’être du nombre des Sans-Culottes ;… À peine avez-vous posé les armes et cessé de faire couler le sang criminel qu’elle n’a plus songé qu’à vous endormir. »

Et il sonne le tocsin des massacres : « Mais quel est le devoir du peuple ?