Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/373

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est dans le commerce, et toutes ces valeurs sont nulles dans le commerce, parce qu’elles n’entrent pour rien dans la consommation. Nous avons beaucoup de signes et nous avons très peu de choses.

« Le législateur doit calculer tous les produits dans l’État et faire en sorte que le signe les représente ; mais si les fonds et les produits de ces fonds sont représentés, l’équilibre est perdu, et le prix des choses doit hausser de moitié : on ne doit pas représenter les fonds, on ne doit représenter que les produits. (Saint-Just veut dire que les assignats, représentant la valeur même des domaines brusquement mis en vente et non pas seulement les produits annuels de ces biens, surchargent la circulation.)

« Voilà ce qui nous arrive. Le luxe est aboli ; tous les métaux achetés chèrement ou retirés des retraites où le faste les retenait, ont été convertis en signes. Il ne reste plus de métaux ni de luxe pour l’industrie. Voilà le signe doublé de moitié. Si cela continue, le signe enfin sera sans valeur ; notre change sera bouleversé, notre industrie tarie, nos ressources épuisées : il ne nous restera plus que la terre à partager et à dévorer.

« Lorsque je me promène au milieu de cette grande ville, je gémis sur les maux qui l’attendent, et qui attendent toutes les villes si nous ne prévenons pas la ruine totale de nos finances. Notre liberté aura passé comme un orage et son triomphe comme un coup de tonnerre… Que nous importent les jugements du monde ? Ne cherchons point la sagesse si loin de nous. Que nous serviraient les préceptes du monde après la perte de la liberté ? Tandis que nous attendons le tribut de lumière des hommes et que nous rêvons le spectacle de la liberté du globe, la faiblesse humaine, les abus en tous genres, le crime, l’ambition, l’erreur, la famine, qui n’ajournent point leurs ravages, nous ramènent en triomphe à la servitude. On croirait que nous désirons l’esclavage, en nous voyant exposer la liberté à tant d’écueils. Nous courons risque de nous perdre si nous n’examinons pas enfin où nous en sommes et quel est notre but. La cherté des subsistances et de toutes choses vient de la disproportion du signe ; les papiers de confiance augmentent encore la disproportion ; car les fonds d’amortissement sont en circulation ; l’abîme se creuse tous les jours par les nécessités de la guerre. Les manufactures ne sont rien, on n’achète point, le commerce ne roule guère que sur les soldats. Je ne vois plus dans le commerce que notre imprudence et notre sang : tout se change en monnaie ; les produits de la terre sont accaparés ou cachés. Enfin, je ne vois plus dans l’État que de la misère, de l’orgueil et du papier. Je ne sais pas de quoi vivent tant de marchands ; on ne peut point s’en imposer là-dessus : ils ne peuvent plus subsister longtemps. Je crois voir dans l’intérieur des maisons les familles tristes, désolées ; il n’est pas possible que l’on reste longtemps dans cette situation. Il faut lever le voile : personne ne se plaint, mais que de familles pleurent solitairement ! Vous vous flattez en vain de faire une République si le peuple affligé n’est pas en état de la recevoir.