Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/384

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décisive, d’établir, avec l’appui de Danton qui souffrait de l’anarchie administrative, l’ordre, la cohésion et la responsabilité dans les bureaux de la guerre. Et ainsi puissamment armée pour la lutte, elle pouvait surveiller et contenir les événements, guetter les occasions de paix, limiter l’expansion belliqueuse de la France, désarmer ou diviser l’Europe par sa modération éclatante et par son désintéressement et ramener peu à peu, vers les entreprises intérieures de richesse et de prospérité, les énergies de la France qui se déchaînaient et se dissipaient au dehors.

Ce programme ne supposait aucune clairvoyance surhumaine. Il répondait à l’idéal de Condorcet. Il répondait aussi à ce qu’il y avait de meilleur, de plus impersonnel et de plus sain dans la pensée de Robespierre et de Saint-Just. Il était conçu et voulu par Danton avec une netteté souveraine. Il ne dépendait donc que de la Gironde de le formuler et de l’accomplir. Elle l’aurait pu si elle s’était élevée, un moment, au-dessus des intérêts de faction, des rancunes, des vanités et des intrigues. Elle préféra se vouer tout entière à ses ambitions exclusives, à ses mesquines rancunes, à son orgueil frivole, à ses calomnies oratoires. C’est là, à mes yeux, son grand crime historique : et ce crime, elle l’expiera, car elle se perdit en compromettant la Révolution.

Les Roland et leur ami Buzot jouèrent surtout un rôle funeste. Il n’y avait pas, dans une commune de France, de désordre, si léger fût-il, sans que Roland vînt gémir auprès de la Convention et dénoncer l’anarchie. Des incidents les plus minuscules et que la seule action régulière de la Convention aurait apaisés ou prévenus, il tirait des conclusions mélodramatiques. La tactique à suivre pourtant était bien simple : que la Convention se mette à l’œuvre, qu’elle déploie contre le roi traître et parjure la vigueur des lois révolutionnaires, qu’elle fasse front à l’étranger, qu’elle organise la République par des lois sages et vastes et elle trouvera, dans son union et dans son action, assez de force pour que les prétentions excessives de la Commune de Paris tombent peu à peu d’elles-mêmes et que toutes les énergies de la Révolution retrouvent leur proportion et leur équilibre. Mais non : Roland cherche à agiter la Convention, en lui dénonçant les agitateurs. Il s’applique à la mettre tout de suite en défiance contre Paris. « La France se déchire, écrit-il à la Convention le 23 septembre ; tout se désorganise ; ce danger est extrême. Paris, qui a tant fait pour le bien de l’Empire, pourrait-il devenir la cause de ses malheurs ? » Et quels sont les faits qui justifient ces paroles tragiques, ce tocsin d’alarme ? Rien de précis, rien de grave. À peine peut-il, le lendemain 24 septembre, signaler les désordres de Châlons-sur-Marne. « Les exécutions populaires, qui ont nouvellement eu lieu à Chalons-sur-Marne, ont mis en fuite le procureur général syndic du département et le directeur des postes de cette ville. Je ne sais s’ils étaient coupables, mais ils le sont par leur fuite, car il faut savoir mourir à son poste. »

Ainsi, c’est pour un incident local et sans avoir même attendu un rap-