Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/395

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chinations ne vinssent à être dévoilées, la plupart ne songèrent plus qu’à prendre la fuite. »

Ainsi, l’évolution est complète : le reniement est complet. Il semble que Marat ait oublié l’article monstrueux du 19 août où il invitait le peuple à massacrer les prisonniers de l’Abbaye. Il a commencé par déplorer, lui, l’homme d’État correct, que le peuple eût mis quelque désordre dans ces exécutions et qu’il n’eût pas le discernement exact des coupables : comme si Marat pouvait supposer que le meurtre provoqué par lui serait mesuré et clairvoyant ! Puis, sans explication et comme s’il les condamnait en bloc, il parle des désastreux événements de septembre, et enfin il y dénonce une manœuvre de la contre-révolution. Quelle lâche et vile palinodie ! Je ne connais pas de jugement plus sévère porté sur les journées de septembre et sur Marat lui-même. La seule excuse de ces meurtres était dans leur nécessité révolutionnaire. Mais s’ils ont été un désastre par la façon dont ils ont été conduits et dont ils ne pouvaient pas ne pas être conduits, si même ils ont servi les plans de la contre-révolution, et s’il apparaît qu’ils ont été son œuvre, quelle excuse reste-t-il au misérable prophète d’assassinat, qui n’est plus enfin, de son propre aveu, qu’une dupe ensanglantée ? Voilà le châtiment que l’immanente justice infligeait au conseiller de meurtre, et si la Gironde avait eu quelque sérénité d’esprit et quelque hauteur d’âme, si elle n’avait pas cherché à rassasier ses rancunes et ses haines, elle aurait attendu que l’inévitable et prochain rétablissement de la vie normale et de la conscience normale fissent de Marat, réduit à se flétrir lui-même, un objet d’universel dégoût.

Mais ce n’est point Marat surtout qu’elle voulait frapper : derrière lui, à côté de lui, elle voulait frapper Robespierre et Danton, élargir autour de ces fronts détestés l’auréole sanglante. Déplorable calcul, car dès la première rencontre, à ces prises rageuses et incertaines Marat lui-même échappait. Pourtant, en cette même séance, un suprême effort est fait contre lui. Le député Boilleau donne lecture à la Convention de l’article où Marat invitait le peuple à l’investir, à la tenir toujours sous une surveillance menaçante et qui se terminait par un équivoque appel à l’égorgement : « Ô peuple babillard, si tu savais agir ! » L’article était vieux de quelques jours, et Marat avait eu le temps d’en écrire un autre, celui que j’ai cité, où il annonçait « une nouvelle marche » et abjurait toute violence. Le député Boilleau avait sans doute négligé de le lire. Marat en fit faire la lecture par un des secrétaires, et ainsi couvert par sa modération récente, il échappa. Le coup de la Gironde était manqué.

Marat, dans son numéro du 28 septembre, triompha de cette séance. Il marqua discrètement son mécontentement de Danton qui l’avait désavoué :

« Danton s’y présente (à la tribune), non pour repousser les calomniateurs, déjouer leurs complots et couvrir de ridicule leurs inculpations, mais pour rendre compte de sa vie politique, protester de son amour pour l’égalité, le défendre d’avoir été l’instigateur des placards et des écrits de Marat, le