Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/409

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«  Eh bien ! la faction veut répandre des nuages sur cette impossible journée ; elle l’impute à crime à ses auteurs, parce que des citoyens, arrachés brusquement des bras de leur famille pour voler à la défense de leurs foyers crurent devoir immoler à la sûreté publique les scélérats, les conspirateurs restés impunis, entassés dans les prisons au mépris de la promesse de leur punition dans les vingt-quatre heures. Il était d’ailleurs prouvé que de nouveaux complots existaient, et que ces traîtres devaient être élargis pour porter le carnage et la mort dans toute la ville à une heure indiquée. On voit donc bien que les crimes des patriotes, des défenseurs de la patrie, ne sont autre chose, aux yeux des tyrans et des factieux, que l’amour de leur pays. »

Détestable politique que celle de la Gironde qui, en cherchant une arme de parti dans ces événements lugubres où les responsabilités ne peuvent être démêlées, où la part du patriotisme et la part du crime sont indiscernables obligeait la Révolution elle-même à assumer ces tristes jours, à les faire siens !

L’offensive des Jacobins contre la Gironde était merveilleusement secondée par la réserve et l’habileté de Robespierre et de Marat. Jamais ils ne furent plus prudents, plus avisés qu’en cette période où les Girondins se dépensaient en motions retentissantes et furieuses, se discréditaient par des propos et des gestes forcenés. Le mot d’ordre avait été donné à la Convention de ne pas laisser parler Robespierre. Dès qu’il se dirigeait vers la tribune, c’était un orage bien préparé d’imprécations, d’invectives et de huées. La Gironde faisait violence à la liberté de la parole. Elle supprimait en Robespierre le droit de ses commettants : elle annulait dans la Convention le mandat de celui qui, avec un sens révolutionnaire admirable, avait le premier proposé la réunion d’une Convention nationale comme solution de la crise du Dix-Août. Mais la Gironde ne discutait plus, elle s’emportait et elle frappait. Elle avait peur aussi que la grave parole de Robespierre, où parfois l’accent de la conviction intérieure et de la passion démocratique remuait les esprits ne dissipât quelques préventions. À la façon dont Brissot parle de lui dans son journal du 29 octobre, il est visible que le plan de la Gironde est, non pas de contenir Robespierre, mais de l’anéantir.

« Robespierre, enseveli sous le poids du mépris qu’il s’était attiré à la seule fois qu’il avait pris la parole, Robespierre qui semblait s’être apprécié enfin en se condamnant au silence… »

Non, ce n’est pas à un silence éternel qu’il s’était condamné. Mais lui, si empressé d’habitude à se produire, si obstiné à imposer de longs discours à des auditoires à demi hostiles qu’il dompte enfin par sa ténacité, il a compris cette fois qu’il s’userait en vain et dans une lutte sans dignité, à parler contre cette tempête de haines sincères ou factices ; et silencieux, attendant son heure, il laissait la Gironde s’épuiser et s’abaisser par ses fureurs.

Quant à Marat, il dut, sans doute, donner du mal plus d’une fois à ses amis