Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/416

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pour attirer à Paris les volontaires licenciés, effectuer sans décret leur projet de force armée, s’environner d’une garde prétorienne et faire passer leurs sinistres desseins. Au demeurant, cette clique est moins redoutable qu’on le pense, composée comme elle l’est d’hommes sans génie, de petits intrigants qui n’ont que de l’astuce, d’étourdis trop présomptueux pour mûrir leurs projets. »

Au moment même où la Gironde est débordante et triomphante, Marat, d’un regard sûr, en a démêlé la faiblesse. C’est la même politique de modération et de confiance qu’il soutient aux Jacobins. Il y dit dans la séance du vendredi 12 octobre :

« Une faction criminelle s’est manifestée au sein de la Convention nationale ; elle paraît l’influencer aujourd’hui comme elle menait auparavant le corps législatif. Il y a quinze mois que je la poursuis. Elle a des projets désastreux, puisqu’elle appelle à son appui une garde prétorienne. On veut entraîner la Commune hors des bornes de la loi, afin d’avoir un prétexte pour quitter Paris. Citoyens, soyez calmes, c’est l’Ami du peuple qui vous rappelle à la sagesse et à la mesure. Hier encore je lui arrachai son secret, à cette faction, je lui disais : « Vous ignorez ou vous feignez d’oublier les motifs de nos réclamations ; c’est que nous ne voulons pas de République fédérative. » À ces mots, la consternation s’est peinte, sur leurs visages. Croyez-moi, citoyens, la faction court à sa perte ; elle donnera dans des mesures violentes. Soyez modérés ; elle sera démasquée sous peu de jours. » (Vifs applaudissements.)

Marat ne veut pas que l’on soit effrayé et obsédé par l’idée de la garde départementale. Il connaît Paris ; il sait quelle est la puissance de ce foyer, et comme il transforme vite les éléments qui y sont jetés du dehors. Il désire presque qu’une armée de volontaires soit appelée en effet à Paris ; il croit qu’il la tournerait bientôt contre la Gironde elle-même :

« Citoyens, dit-il aux Jacobins le 15 octobre, permettez que j’interrompe un instant une discussion sur un vain fantôme auquel on attache trop d’importance ; le projet, proscrit par l’opinion publique, n’existe plus aujourd’hui que dans l’imagination de ceux qui l’ont proposé ; je doute fort qu’ils aient le courage de le reproduire, et, s’ils le faisaient, ce serait tant mieux pour la liberté. Ils appelleraient, au lieu des gardes prétoriennes, des surveillants qui les rappelleraient à leur devoir. »

Les vues de Marat s’élargissent. Il a compris, par la réaction de pitié et d’indignation qui a suivi les massacres de septembre, que ces moyens sanglants servaient la contre-révolution. Il a compris que son idée d’un tribunat militaire, d’un prévôt de Révolution, fournirait trop aisément prétexte à l’accusation de dictature. Et c’est sans violences, sans meurtres, c’est sous la seule influence de l’opinion conquise peu à peu par la sagesse des démocrates, qu’il espère rétablir dans la Convention l’unité d’action et de volonté, subor-