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HISTOIRE SOCIALISTE

retombera-t-elle de tout son poids sur la libératrice accablée ? Voilà ce qu’à la fin de 1792 les révolutionnaires se demandaient sans doute ; voilà, malgré l’éblouissement des premières victoires, l’angoisse qui opprimait sans doute plus d’une pensée. Un grand souffle d’espérance semblait tout soulever, tout emporter. Mais, par la guerre, la France devenait maintenant solidaire du monde : que voulaient les peuples ? Que seraient-ils ? Que feraient-ils ? Quelle était la valeur des premières adresses parvenues à la Convention et quelle partie du sentiment public exprimaient-elles ? Et dans quelle mesure les hommes étaient-ils préparés ou à seconder ou à recevoir la Révolution ? Trop souvent, dans les histoires de la Révolution, c’est la France presque seule qui occupe la scène. Les autres peuples sont dans une sorte de lointain. Les révolutionnaires de 1792 n’avaient du reste du monde qu’une idée superficielle et vague. On dirait, à la façon dont la conscience française a simplifié ce grand drame, qu’il n’y eut à ce moment que deux forces actives : la force de la France révolutionnaire et la force des tyrans coalisés ; les multitudes européennes n’apparaissent que comme une puissance incertaine et confuse disputée par des tendances contradictoires. C’est le devoir de l’historien, surtout de l’historien socialiste qui veut briser les étroits préjugés nationaux, d’interroger de près la pensée et la conscience des peuples mêlés diversement au grand drame de la Révolution.

LA RÉVOLUTION
ET LES IDÉES POLITIQUES ET SOCIALES DE L’EUROPE

L’Allemagne était toute préparée à s’intéresser à la Révolution française. L’action intellectuelle de la France sur l’Allemagne au XVIIIe siècle avait été immense. Voltaire, Diderot, Rousseau, l’Encyclopédie, l’Académie des sciences avaient au delà du Rhin suscité les idées, passionné les esprits. Et même quand l’esprit allemand prit conscience de son originalité, quand il s’affranchit, dans l’ordre de l’art et de la pensée, de l’influence exclusive de la France et se créa sa littérature, son théâtre, sa philosophie, il resta en communication vivante avec l’esprit français. C’est Klopstock qui donne le premier au génie allemand une expression épique et lyrique vraiment nationale. Et c’est Klopstock qui vibrera d’enthousiasme aux premiers événements de la Révolution française, aux premières affirmations de la liberté. En Lessing, qui libère le théâtre allemand de l’imitation servile du théâtre français, et qui donne à la critique religieuse une profondeur inconnue en France, la marque de l’esprit critique français, si nette et si aiguë, est toujours visible. Lorsque Kant résout le problème des rapports de la pensée et de l’être par une solution d’une hardiesse incomparable, lorsqu’il fonde l’accord de la pensée et du monde sur la primauté de la pensée créant elle-même les lois selon lesquelles le monde se manifeste, que fait-il sinon justifier la science, glorifier