Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/490

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vouement sans exemple d’un souverain qui voulait tout voir et tout diriger) il y a eu tant de lois prématurées et rendues impuissantes par des changements continuels, tant d’entreprises malheureuses et de pas rétrogrades, que la postérité ne saura pas si elle doit admirer davantage l’inépuisable et infatigable génie du prince qui eut tant de grandes et bonnes pensées, ou s’étonner du caprice du mauvais génie qui travaillait avec tant d’acharnement et d’amertume contre tout ce à quoi il mettait la main… Qui, ayant un cœur, pourrait rester indifférent à cette double pensée ? Qui ne jettera pas ici un regard de tristesse sur le sort de l’humanité et sur la destinée des princes si étourdiment enviée ? »

Et après avoir retracé les hardies réformes qui au même moment s’accomplissaient en France, Wieland conclut :

« Nous ne devons pas cacher que les législateurs français sont fort heureux d’avoir affaire à une nation qui a fait de si grands progrès en culture et en instruction ; qui, au lieu de mettre des obstacles aux réformes, va vers elles avec enthousiasme et tient pour bien tout le bien qui peut être fait, pour mal tout le mal dont on la délivre.

« Il y a longtemps, disait le duc de la Rochefoucauld dans la session du 13 février, que l’opinion publique en France a décidé la question posée aujourd’hui, depuis longtemps elle demande la suppression des ordres monastiques et des couvents. »

« Il ne s’agit point là des sentiments et des actions du parti aristocratique et hiérarchique qui, par intérêt privé ou par passion, ne perd aucune occasion de troubler le peuple autant qu’il le peut, de le jeter dans la défiance et l’agitation. Même le peuple le plus noble et le plus raisonnable reste peuple. Mais le peuple français a déjà donné trop de preuves que même la classe la plus inculte revient au premier appel de la raison, pour que l’on ait sujet de craindre que les efforts exaspérés de ces boute-feu réussissent.

« Comme l’empereur Joseph avait affaire à d’autres hommes, et comme ses États étaient loin d’être préparés à une réformation universelle, et d’être assez éclairés pour reconnaître comme tels les bienfaits qu’il voulait leur dispenser ! Lui aussi avait eu la grande pensée que l’Assemblée nationale française réalise maintenant en son entier, bien avant que nul ne soupçonnât même la possibilité de la révolution si rapidement accomplie en France. Mais quels obstacles insurmontables s’élevèrent contre lui ! Comme chaque pas lui fut disputé, et comme il devait être heureux, même avec beaucoup de peine, de réaliser une petite partie de ce que les législateurs français, dans des circonstances favorables, peuvent réaliser en un coup, et sans restriction ! C’est une grande chose de savoir si la volonté qui est à la tête d’un État est, ou non, la volonté universelle. »

Ainsi l’impuissance constatée du despotisme éclairé à ouvrir des voies