Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/605

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jouer à Paris, à la Convention peut-être, un rôle équivoque et bruyant ? Non, vraiment. Mais la confusion et la débilité des choses allemandes L’obligent à un jeu tristement compliqué. Il sait bien, malgré l’entraînement des premiers succès de la France, malgré les velléités de la Hesse et de la Souabe, il sait bien, par l’expérience de Mayence même, qu’il n’y a pas en Allemagne une grande force révolutionnaire. Que Forster n’ait pas espéré un moment en la Révolution allemande, c’est, je crois, un des symptômes les plus douloureux et les plus décisifs de l’impuissance fondamentale du peuple allemand en ces jours pleins de trouble et de promesse. Forster espérait seulement que si par l’annexion ou par l’adhésion de la rive gauche du Rhin à la France républicaine la paix était rétablie, l’exemple de cette grande France victorieuse et libre agirait peu à peu sur l’Allemagne. Mais, pour faire accepter ce plan au patriotisme allemand et aux conservateurs eux-mêmes, Forster disait que la prolongation de la guerre ne pouvait aboutir qu’à une subversion générale en Allemagne. Il se donnait ainsi parfois l’apparence de vouloir limiter la Révolution. De Mayence, il écrit le 21 novembre à son correspondant berlinois, le libraire Voss :

« J’ai depuis hier participé à l’administration publique du pays d’ici, de Spire à Bingen, sur l’ordre exprès du général Custine. C’est au plus grand bien du pays qui m’est confié et de ses habitants que je vais m’employer. Je sauvegarde la propriété et le bien-être, et celui qui prendra ensuite possession du pays, quel qu’il soit, le trouvera en bon état. Si on entreprend une seconde campagne, toute l’Allemagne sera dans une fermentation anarchique, et je ne réponds plus aux princes de leur trône. En donnant ce conseil, j’agis en bon Prussien, dans le meilleur sens du mot, en homme qui désire le maintien de la Constitution actuelle, parce qu’il n’est pas convaincu encore de la maturité révolutionnaire de l’Allemagne, et qu’une révolution avant maturité pourrait avoir des suites cruelles. Mais, au nom de Dieu, que l’on soit capable enfin de comprendre la marche de notre temps ! Les destins de l’heure présente sont dès longtemps préparés, et il est impossible que les digues pourries qu’on oppose à l’inondation de la liberté résistent. Nous vivons dans une époque décisive de l’histoire du monde. Depuis l’apparition du christianisme, il ne s’est rien vu de pareil. À l’enthousiasme, au zèle de la liberté rien ne peut s’opposer que la constitution stupide de l’Asie. »

La solution toute partielle imaginée par Forster lui paraissait réunir tous les avantages. Personnellement, elle le libérait, lui et les siens, de toute inquiétude, et elle lui assurait un grand rôle. Devenu citoyen français et, sans doute, représentant de Mayence, il n’avait plus à craindre les représailles de l’évêque et de son parti, et il pouvait en outre servir d’intermédiaire entre la France passionnée et l’Allemagne plus lente. D’autre part, l’horreur d’une guerre civile entre les Allemands ennemis de la Révolution et les Allemands